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Aux origines du «nationalisme turc»: bref survol historique des principes fondateurs de la République
Introduction
Les «Türk»[1] se réveillèrent au nationalisme le jour où ils commencèrent à perdre l’Empire. On l’a vu inspirer la révolution des «Jeunes Turcs»[2] en 1908, puis forger peu à peu l’identité de l’Empire décadent aux lendemains de la guerre de 1914, pour enfin déboucher sur la création d’une nation nouvelle et différente appelée Türkiy[3] avec Atatürk[4].
Il n’y a pas longtemps encore, la Turquie actuelle n’était qu’une province dans un empire ottoman plus vaste, qui se caractérisait par son multiculturalisme, son pluri-ethnisme, et même sa pluralité religieuse ou confessionnelle. Le nationalisme turc[5] n’est donc pas une figure atemporelle, bien au contraire, sa naissance et son amorce sont le fait d’une situation politique et sociale particulière, qui connaît des évolutions au cours des siècles, sur lesquelles on va revenir brièvement. L’actuelle société turque se caractérise par la recrudescence d’un nationalisme à géométrie variable (turquisme, panturquisme, nationalisme turco-islamique, nationalisme laïc, ou nationalisme laïc autoritaire), que d’aucun pourrait juger comme un frein au processus de modernisation du pays.
Il ne s’agit pas, dans cet article, de faire une critique ni une apologie du nationalisme turc, mais plutôt de revenir sur ses origines, ses causes, et ses manifestations – passées et à venir –.
Les peuples «Turcs»
Le monde turc (Türk Dünyası)[6] ou les peuples «turcs»[7] que nous voyons aujourd’hui installés dans la limite de la Turquie et répandus en Europe orientale et en Asie, des plaines du nord de la Mer Noire jusqu’aux rives de l’Océan Pacifique, sont originaires de l’Asie centrale. Un ensemble de plus de 250 millions de personnes, qui s’étend des rives de l’Adriatique jusqu’au Xinjiang en Chine.
La carte ethnographique des temps modernes pour l’Europe orientale et le Proche-Orient ne commence à prendre forme que vers le Xe siècle de l’ère chrétienne.
Auparavant, et pendant de longs siècles, le peuple nomade turc s’aventurait d’une marre asséchée à l’autre, luttant contre la sécheresse, la chaleur torride et le froid glacial de la nuit. C’est presque par le jeu d’une loi primitive de la nature que, lorsque ces transhumants tombaient sur des terres cultivées, ils en pillaient les richesses. Si les noms d’Attila le Hun, de Gengis Khan et de Tamerlan, chevauchant à la tête de leurs hordes[8], évoquent l’horreur et la cruauté, il faut replacer ces personnages dans le contexte de la tragédie des nomades face aux sédentaires, de l’étrier face à la charrue.
C’est de cette souche que sont sortis les peuples turcs. Seule la langue les sépare des Européens, des Slaves et des Sémites[9]. Outre le turc traditionnel parlé aujourd’hui en Turquie, des millions de turcs vivant en Iran, au Caucase, en Asie centrale, en Russie et au Turkestan chinois parlent une forme de turc ou des langues apparentées comme le mongol ou l’ouzbek, qui appartiennent à la famille linguistique ouralo-altaïque[10], de même que le finnois, le hongrois, le japonais, le coréen[11].
Le mot «turc» apparaît pour la première fois dans les annales chinoises dès 1300 avant J.C., sous la forme «T’ou-kiue» ou «Türük».
L’ancienne religion de ces nomades était le chamanisme, une religion polythéiste comportant de nombreux totems et une grande part de magie, leur religion était plutôt une conception naturelle de la vie et du monde, une culture. Peu à peu, des tribus comme les Ouïgours[12] adoptèrent le boudhisme vers 726 après J.C., certaines devinrent zoroastriennes, nestoriennes ou manichéennes vers 781 après J.C. Les turcs Khazars adoptèrent le judaïsme vers 800 après J.C.[13].
Au moment même où le Turkestan (anciennement soviétique), commençait à se turquiser, l’Islam, né en Arabie et débordant avec le peuple arabe de toutes parts des frontières naturelles de la péninsule, s’étendit sur le monde méditerranéen et proche oriental, s’emparant entre autre de l’Iran. Le premier contact des Turcs et des Arabes fut un contact militaire, un heurt entre deux grands peuples sortant chacun de leurs steppes et de leurs déserts, soldats dans l’âme et ivres de conquêtes.
Pourtant, arabes et turcs, en combattant les uns contre les autres étaient mus par des sentiments bien différents. Chez les Arabes la guerre était une guerre sainte, la propagation de la foi étant un impératif. Les Arabes formaient déjà un empire immense, en voie de devenir démesuré, centralisé entre les mains du Khalife.
Les Turcs ne formaient pas sur ses marches d’Orient une confédération puissante et organisée; c’étaient des tribus, en lutte contre les peuples iraniens et en luttes intestines, plus préoccupées de pillage que de conquêtes nationalistes ou religieuses. Leur nationalisme était différent du nationalisme actuel, ils avaient l’orgueil de leur nom, de leur tribu et de leur caste, et ne connaissaient d’autre loi que la discipline militaire.
Forts de leurs prouesses militaires, les Turcs vinrent s’engager dans les troupes des califes abbassides de Bagdad[14] comme mercenaires ou comme soldats esclaves. Les reîtres turcs avaient trop d’intérêt à servir l’Islam pour hésiter à se convertir. A la fin du IXe siècle, les Turcs musulmans occupaient la plupart des postes de commandement militaire de l’Empire.
Cependant, ce n’est qu’au Xe siècle que l’Islam s’introduisit en terre turque (Asie centrale) et que les Turcs commencèrent à se convertir grâce aux Arabes qui amenaient avec eux leurs conceptions religieuses. En 954, au sein du Turkestan chinois, le prince héritier de Kachgar embrassa l’Islam; de ce jour commença la vocation de l’Asie centrale pour l’Islam.
En revanche, aux environs de l’an 1000, l’empire Khalifal avait vieilli et les Turcs, pour la première fois, franchirent en conquérants ses frontières.
Tout l’ouest des pays turcs était alors aux mains de la vaste tribu des Oguz dont l’autorité s’étendait, entre autres, sur la rive gauche de la Volga. Et au Xe siècle, sous une poussée de leurs voisins du nord et de l’est, les Oguz s’étaient trouvés scindés en deux groupes. Le plus important avait traversé la Volga et avait fini par se faire massacrer en Grèce. Le second était parti vers les terres de l’Islam. Arrivé en Transoxiane (au-delà du fleuve), sa classe dirigeante avait commencé à s’islamiser et à s’iraniser.
A ce groupe appartenait une tribu ayant un dénommé Seltchuk à sa tête. Les seltchukides parvinrent, vers 1034 et 1035, à se créer une petite principauté à Merv. Princes encore faibles, ils se trouvèrent servis par le mariage du Khalife Abbasside de Bagdad Al Hakim (1031-1075) et de la fille de l’un deux, Torgul Beg. L’Empire Seltchukide couvrit la Turquie, l’Iran et l’Irak actuels.
Occupés à contenir les Croisades entre le XIe et le XIIIe siècle, les seltchukides voyaient arriver de nouveaux venus d’Asie centrale. La frontière orientale de l’Empire Khalifal était ouverte; le barrage (Sassanide d’abord, Arabe ensuite) qui depuis des siècles retenait le flot asiatique était brisé. Ces bandes conquérantes revendiquaient le droit de vivre sur les pays conquis par le grand parent seltchukide. Ces gens remuants, toujours insoumis, se firent diriger sur l’Anatolie, verrouillée par Byzance.
Les Turcs qui arrivaient en Anatolie, les Turkmènes (c’est à dire les nomades) étaient des soldats et des bergers et avaient comme cadre social la tribu. Théoriquement la tribu était musulmane mais ne pratiquait qu’une religion sommaire. Les masses demeuraient païennes, chamanistes, avec quelques greffes des pratiques obligatoires de l’islamisme. Seuls les chefs avaient, en revanche, quelques notions coraniques.
Les tribus turques en Anatolie ne tardèrent pas à être plus nombreuses que partout ailleurs. Elles s’y entasseront, s’y superposeront progressivement à la population autochtone en la poussant toujours plus loin vers l’ouest. Quand l’empire Seltchukide s’écroulera, le pont qui unissait l’Asie centrale au Proche-Orient se brisera; partout les tribus turques se feront assimilées par les populations arabes et persanes. Cependant, en Anatolie, loin de se faire assimiler, elles assimileront et feront de l’Asie Mineure l’actuelle Turquie.
L’Empire Ottoman
La domination des seltchukides ouvrit la voie aux ottomans appartenant à une tribu Oguz du Turkestan (ces mêmes Oguz qui avaient déjà donné à l’Islam les seltchukides), et sous la conduite d’un certain Ertugrul, dont le fils Osman, fonde aux environs de 1288 une principauté. Cette principauté deviendra l’Empire Osmanli (ottoman par déformation occidentale)[15], grande expression politique des Turcs[16].
L’Empire Osmanli n’avait comme idéologie que celle de l’Islam. Il croyait représenter l’empire musulman dans toute la dimension de ce terme et dans toute son efficacité. C’était un empire théocratique dégagé de tout sentiment national.
L’Empire Ottoman se présente avec des caractéristiques fortement originales, en quelque sorte comme sui generis. On ne peut, en effet, le considérer sous l’angle traditionnel en Europe, comme ces dominations éphémères que furent celles d’Alexandre le Grand ou de Napoléon, ni le traiter comme une entité nationale.
Si l’on regarde, par exemple, l’histoire des Capétiens de France, on voit une famille sortir de l’ombre, se hisser au pouvoir suprême sur une parcelle de terre et s’activer opiniâtrement à homogénéiser autour d’elle, à créer une nation ayant autant que possible un faisceau d’idéaux et de caractères communs: une langue, une religion commune. Rien de tel chez les ottomans. Certes, c’est un empire turc, avec une dynastie turque, mais cet empire représente une superstructure élastique tolérant tous les éléments primitifs ou autochtones: des groupements ethniques intacts, des religions variées, une multitude de langues et de cultures. Dans ce grand complexe ottoman, les Turcs jouent certes le premier rôle, mais les autres peuples ont une place considérable: l’armée en partie albanaise; le commerce et les finances grecs, arméniens ou juifs; le clergé arabe. Les Balkans, après cinq cents années d’occupation ottomane ne seront pas turcs, pas davantage musulmans. Ainsi, il est peut-être excessif de dire que la République Turque est une continuation de l’Empire Ottoman.
Si la stature des empires des grands conquérants dont nous venons d’évoquer les noms peut présenter certaines similitudes avec le profil de celui des ottomans, leur brièveté empêche de pousser plus loin le parallélisme. Les ottomans ont su préserver leur dynastie pendant près de sept cents ans.
Il y a bien, à certains égards, quelques caractères communs entre l’Empire austro-hongrois et l’Empire ottoman. Pour que la similitude soit cependant satisfaisante, il aurait fallu que l’Empereur d’Autriche fût en même temps Pape, un Pape du Moyen Age, dont l’autorité spirituelle aurait été indiscutable. En effet, le souverain ottoman est à la fois Sultan c’est à dire Empereur (ou Padischah, c’est à dire Roi des Rois), et Khalife, successeur du prophète, pontife suprême chargé de défendre l’Islam.
L’Empire Ottoman est donc un empire nuancé qui peut être, en quelque sorte, baptisé «Confédération» (bien que le droit constitutionnel interdit cet usage). Tant que l’Empire fut fort, tant que son armée fut victorieuse et son économie florissante, la «juxtaposition communautaire» subsista et la paix sociale régna. Mais, dès que la dynastie s’affaiblit, la «confédération» se disloqua. Balkans et provinces arabes redevinrent aussitôt des régions de troubles où les convoitises des grands États se donnèrent libre cours.
L’Empire ignore tout du «Contrat Social». Il est le seul «fait» qui groupe des agrégats disparates. Il ne se soucie ni de «turquiser» ni même de regrouper les Turcs. Bien au contraire, au fur et à mesure de sa décadence, il cherche à oublier ses origines, reniera sa nationalité[17]. Quand il disparaîtra, tous les peuples dominés mais conservés se dégageront d’eux-mêmes, et le «peuple turc»[18] dans une prise de conscience nationale essaiera de constituer, à l’exemple de l’Occident, un État turc au sens occidental du terme.
Jusqu’à son abolition, le gouvernement khalifal ne craignait pas de supprimer des documents officiels le mot «turc» pour le remplacer par le mot «musulman».
La révolution jeune-turque de 1908
Le mot «turc»[19] était péjoratif à l’époque ottomane, il désignait un rustre, un vilain méprisable, la populace de la glèbe (les ploucs), enraciné au sol et qui ne cultivait pas les belles-lettres persanes ou la philosophie gréco-arabe, et qui ignorait presque tout de l’Islam.
Il avait fallu attendre le célèbre poète Mehemet Emin, rentré vivant dans le panthéon de la turquité avec son poème «Moi je suis Turc», paru en 1897, pour entendre chanter la grandeur d’âme de la race[20] conquérante: «Ben bir Turkum, dinirn, cinsirn uludur»[21].
Dès lors, la leçon de Mehemet Emin fut passionnément écoutée. Tout le pays vibra de cet appel national. C’est dans cet état d’esprit que la révolution naquit dans les provinces anatoliennes. En juillet 1908, la révolution des Jeunes-Turcs conduit au rétablissement de la Constitution, à l’élection d’un parlement dominé par le Comité Union et Progrès (Komiteh ou les unionistes) et à la déposition d’Abdülhamit.
La révolution jeune-turque de 1908, peut-être plus occupée de réformes que le Sultan, exerça une politique de turquisation plus marquée et se montra tout autant tyrannique. Nationalisme, modernisation, promotion de l’Anatolie, tels sont les maîtres mots des réformes appliquées par les unionistes. Mais pour les responsables jeunes-turcs, cette trilogie représente plus que les convictions majeures d’un bréviaire réformiste. Toute leur politique a été soumise à la trinité du nationalisme, de l’»anatolisation» et de la modernisation.
Par la nature de ses composantes et par leur conjugaison, cette trinité a bouleversé l’Empire ottoman. Pour la première fois dans l’histoire ottomane, les hommes au pouvoir à Istanbul ont défendu le nationalisme turc sous l’influence des Turcs musulmans venus de l’Empire russe[22]. La fondation des «Türk Ocaklar» (Foyers turcs) en mai 1912, véritables centres de culture turque, créés pour développer la langue turque et améliorer la connaissance économique, sociale et scientifique du peuple turc «principal élément de l’Islam», donna un élan particulier au mouvement national. Les esprits les plus chimériques rêvent d’une union de tous les Turcs, depuis les Balkans «jusqu’aux oasis de la route de la soie», et certains, encore plus utopiques, rêvent en lisant la fameuse déclaration du grand écrivain Ziya Gökalp (1876-1924)[23] vers 1910: «Les enfants d’Oghouz Khan n’oublient jamais ce pays qui s’appelle Turan. La patrie des Turcs n’est pas la Turquie, ni même le Turkestan, leur pays est une terre vaste et éternelle: ‘Touran’»[24].
Une des expressions les plus intéressantes du nationalisme turc se trouve dans son extension au panturquisme ou pantouranisme. Le panturquisme (türkçülük) prône l’espoir d’une union plus ou moins large de tous les Turcs. Mais le panturquisme a pu se confondre avec le pantouranisme qui lui, couvre une tendance beaucoup plus vaste visant le rapprochement des peuples du Turan. Le vocable «Turan» appartient au vocabulaire géographique iranien et désigne une notion spatiale assez vague: «le pays au nord de l’Iran». C’est ainsi qu’il a été compris dès 1839 en Hongrie, quand le Turanische Gesellschaft écrivait: «Les peuples qui nous sont apparentés»[25], faisant allusion aux Finnois et aux Turcs. L’idée romantique du touranisme s’est donnée libre cours et a revêtu toutes les formes imaginables, soit dans la littérature, la presse, etc. Elle s’est «concrétisée», en quelque sorte, dès 1918, lorsqu’un illustre général osmanli, rêvant de fonder un Empire turc en Asie Centrale, y trouva la mort en guerroyant pour réaliser cet idéal.
Le panturquisme et son cousin proche, le pantouranisme, devenaient la politique officielle d’Istanbul; parce que leurs prédécesseurs avaient voulu ignorer les principes du nationalisme et sa force, les unionistes décidaient de rechercher leur revanche et leur renaissance dans la création d’un nouvel empire turc.
Le modernisme s’est fait par la voie d’importantes réalisations, justifiées par les usages anatoliens. En fait, ce n’était que l’expression de la volonté jeune-turque de découvrir l’Anatolie et de la turquiser. L’Anatolie - Asie Mineure ou Turquie d’Asie - devient le paradigme de ce que les Jeunes-Turcs ont voulu éradiquer et créer.
Le vrai Turc pauvre et primitif de l’Anatolie[26] devint tout d’un coup le point de mire des Jeunes-Turcs. Il fallait turquiser l’Anatolie en y installant des «mohacir», immigrés musulmans chassés des territoires ottomans d’Europe, et il fallait anatoliser l’Empire, par la promotion des commerçants, des propriétaires fonciers et des banquiers turcs. Les Jeunes-Turcs ne voulaient plus que l’on puisse écrire que «le nom d’Asie Mineure a pour le public plus de retentissement dans le passé que le nom de l’Anatolie trouve d’écho dans le présent» ou encore «tandis que les Grecs et les Arméniens occupent d’office les places d’employés et s’élèvent couramment, les seconds surtout, à des fonctions de direction, le turc végète dans les rôles les plus humbles et reste voué le plus souvent aux besognes manuelles».
Le régime instauré par les Jeunes-Turcs montre son incapacité à gouverner, et tente de la compenser en orientant sa politique vers l’ultra-nationalisme. Lorsque éclate la Première Guerre mondiale, la Turquie se range aux côtés de l’Allemagne. Durant l’hiver 1914-1915, les Russes passent à l’offensive et les nationalistes arméniens se soulèvent sur les arrières de l’armée turque, se rangeant dans le camp des forces de la Russie tsariste en échange de la promesse de leur indépendance. Au printemps 1915, la contre offensive turque s’accompagne d’une implacable répression (massacres et déportation des populations). Les victimes arméniennes sont nombreuses et les rescapés se réfugient au Caucase, en Iran, au Liban, en Syrie ou en Occident.
Mustafa Kemal
A la fin de la première guerre mondiale, le nationalisme, la modernisation et l’anatolisation avaient plus détruit que construit.
L’épuisement de l’Empire obligea le Sultan à signer l’armistice de Moudras (30 octobre 1918) qui livra presque totalement les domaines de la Sublime Porte aux vainqueurs. En mai 1919, les Grecs débarquent à Smyrne et occupent la Capadoce pour réaliser la «Megale Idea» (ou restauration de la Grèce antique avec ses colonies ionniennes). Cette nouvelle atteinte amorce un sursaut national qu’incarne le général Mustafa Kemal. En avril 1920, la Grande Assemblée Nationale (Büyük Millet Meclisi, qui se désigne par les lettres B.M.M.), réunie à Angora (Ankara) et présidée par le général Kemal, forme un gouvernement nationaliste. Celui-ci déclenche la guerre contre les Grecs et les rejette à la mer. Des négociations avec l’U.R.S.S. et avec la France permettent en outre la récupération des territoires de l’Anatolie orientale et de la Cilicie. Le 1er novembre 1922, le sultanat est aboli et l’année suivante, au traité de Lausanne[27], la Turquie récupère les territoires que les Alliés avaient destinés aux Arméniens et aux Kurdes lors du traité de Sèvres de 1920[28].
Presque toues les terres d’Islam perdirent leur liberté. L’Empire ottoman sombra, mais du moins, grâce à la révolution nationaliste et à la guerre d’indépendance qui l’accompagna, l’Empire put échapper au protectorat et une nation[29] turque se dégagera de ce vaste ensemble défunt.
Quand la guerre d’indépendance (1919-1922) s’acheva avec succès, le général Mustafa Kemal se considéra comme le créateur d’une nation nouvelle et différente, appelée Türkiye ou pays des turcs[30].
Mustafa Kemal, cette figure emblématique, est né en 1881 à Salonique - un port du nord de la mer Égée, aujourd’hui en Grèce - d’une famille de classe moyenne, où le père était fonctionnaire des douanes. Tout jeune, Mustafa eut sa première querelle violente avec le chef de l’école religieuse locale, le mulla. L’expérience semble lui avoir laissé une profonde haine du fondamentalisme religieux. Il fit ses études dans des écoles militaires, qui étaient presque les seuls à offrir des perspectives de promotion aux jeunes gens de la société ottomane.
À l’Académie, ses prouesses en mathématiques lui valent le surnom de kemal (parfait). C’est là qu’il acquit un profond intérêt pour les œuvres de Rousseau, Voltaire et Auguste Conte et que lui vient l’idée folle de devenir le Napoléon de l’Orient. Admirateur de la IIIe République en France ou de la République de Weimar (bien plus que de la Prusse), Mustafa Kemal n’a jamais voulu regarder que vers l’Ouest d’où seul, à ses yeux, pouvaient provenir les ingrédients de la régénération morale et politique de ses concitoyens. Sa carrière militaire le mit très tôt au contact des réalités politiques d’un empire sur son déclin. Élève de l’école des cadets, on le voit déjà mêlé aux mouvements libéraux dressés contre le despotisme d’Abdülhamit II, le Sultan qui sera renversé par la révolution libérale de 1908-1909. En raison de ses activités clandestines, il fut bientôt transféré à Damas en tant que chef d’état-major - loin du centre du pouvoir -. Il parvint toutefois à créer une société révolutionnaire qui fusionne ensuite avec le Rassemblement pour l’Union et le Progrès, dirigé par le triumvirat d’Enver, Cemal et Talat.
En Syrie, Mustafa Kemal y trouva l’occasion de se convaincre que seul un État national turc pourrait œuvrer en faveur des Turcs eux-mêmes. A l’inverse des «Jeunes-Turcs Unionistes» de la deuxième période constitutionnelle de l’Empire ottoman (1908-1918), il ne voulait pas conquérir le pouvoir par une insurrection armée. Demandant la séparation du politique et du militaire, la soumission du dernier à l’autorité du premier; il suscita ainsi de vifs soupçons chez les principaux dirigeants de l’époque.
Tout en s’opposant à la politique pro-germanique et aventuriste de la faction des Jeunes-Turcs au pouvoir, avant et pendant la première guerre mondiale, Kemal n’en n’était pas pour autant favorable à une politique de soumission au camp des Alliés. Son but était de libérer le pays de toute sorte de dépendance. Enfin, une mission au front caucasien, durant la première révolution russe de février 1917, et surtout des contacts avec les prisonniers de guerre russes, l’aidèrent à approfondir sa connaissance des revendications révolutionnaires des peuples voisins.
Ses dons d’observation et d’analyse, ses facultés d’intuition et de prudence, faisaient de Mustafa Kemal un bon stratège, non seulement sur les champs de batailles, mais aussi dans les combats politiques qu’il avait à livrer.
Quand le triumvirat du Rassemblement pour l’Union et le Progrès disparut (Enver trouva la mort à la tête d’une charge de cavalerie en Asie centrale, Talat et Cemal furent tués par les arméniens), il était tout naturel que Mustafa Kemal, seul général invaincu des armées ottomanes, prenne la direction de la lutte pour sauver le cœur de l’empire perdu.
Sa stratégie pendant la guerre de libération (1919-1922) fut de concilier diverses formations du camp anti-impérialiste (les intellectuels avec les propriétaires fonciers, ou avec les notables, par exemple) afin de hâter l’accession à l’indépendance nationale. Celle-ci acquise, il se voyait comme le créateur d’une nation turque nouvelle.
Au lendemain de la guerre d’indépendance (1919-1922), le kémalisme eut en face de lui trois idéologies entre lesquelles il eut à choisir: le panislamisme, le pan-ottomanisme et le nationalisme.
Le panislamisme, considéré par les kémalistes comme responsable de la décadence turque; surtout que l’autorité du Khalife n’avait pu, pendant la première guerre mondiale, empêcher les «autres musulmans» de combattre dans les rangs des alliés. La guerre sainte, proclamée en 1914, aurait dû rassembler tous les musulmans autour du Sultan «Khalife et commandeur des croyants»; au lieu de cela les Arabes se sont révoltés pour proclamer leur indépendance.
Quant au pan-ottomanisme, les kémalistes le tenaient pour méprisable et indigne de l’époque moderne, surtout que le conflit mondial a singulièrement réduit l’Empire à Istanbul et l’Anatolie. Ils voyaient tout ce qui était «ottoman» à travers un objectif déformant, élitiste, arriéré, sordide et dégénéré.
Le panislamisme et le pan-ottomanisme furent donc obligés de céder la place à un profond nationalisme. Ce point acquis, il restait encore à savoir si la Turquie nationale allait chercher à propager sa doctrine dans les autres États musulmans turcs et à essayer de les intégrer à son système politique nouveau, sous la forme de colonie ou de confédération. Le kémalisme se pose nettement comme une puissance anti-colonialiste.
Mustafa Kemal, malgré son nationalisme militant[31], choisit le repli à l’intérieur de frontières chèrement acquises au nom de la «real politik» et des rapports de bon voisinage.
En remettant en honneur tout ce qui appartenait au vieux passé des Turcs, en recherchant les origines historiques du peuple installé aujourd’hui en Anatolie et rêvant de lui redonner le sens de la grandeur qu’il avait connu auparavant, le kémalisme a joué un rôle certain dans «l’éventualité intellectuelle» de former un mouvement pour l’union des peuples turcs[32].
Cependant, cette union représente d’insurmontables difficultés qui apparaissent à la simple lecture de la carte de la région; ainsi les barrières ethnographique et géographique. Les Turcs vivent dans des pays immensément étendus; ils sont imbriqués à des peuples non-turcs, tels les Iraniens, les Slaves et les Mongols. Leurs États respectifs sont séparés les uns des autres et, singulièrement, la Turquie nationaliste est séparée des républiques de l’Asie Centrale par les États caucasiens de Géorgie et d’Arménie, par l’Iran et par la mer Caspienne.
Mustafa Kemal se lança dans la voie des réformes. Les principales réalisations de l’époque kémaliste en Turquie furent: d’abord la suppression du sultanat (1922), la création de la République de Turquie (1923) et l’abolition du califat (1924) - trois actes complémentaires issus du principe de la souveraineté nationale, mot d’ordre des kémalistes depuis le début de la guerre d’indépendance -. En séparant le califat du sultanat par la suppression de ce dernier, la Turquie nouvelle dissociait les pouvoirs spirituel et temporel. Ce n’était qu’une première étape. En effet, le califat subsistant aux institutions, perpétuait un dualisme des pouvoirs qui allait se faire sentir particulièrement après la proclamation de la République en 1923.
L’abolition du califat en 1924 mit fin à cette situation équivoque, parachevant ainsi la lutte engagée contre tout pouvoir spirituel inspiré de l’»internationalisme ottoman». Car, si le calife des musulmans était destitué et renvoyé, le patriarche orthodoxe connut le même sort, lui qui avait symbolisé l’internationalisme du christianisme oriental en raison des pouvoirs politiques auxquels le traité de Lausanne venait de mettre fin.
Ces changements des années 1922-1924 indiquaient de toute évidence la détermination des réformateurs turcs sur la voie de la laïcisation de l’État[33]. Ces principes sont solennellement reconnus et consacrés par les Constitutions de 1921 et 1924 (la Constitution turque de 1924 porte le nom de Principes Fondamentaux d’Organisation - Teşkilatı Esasi Kanunu -). Cette sécularisation de l’appareil étatique aboutira à la dissolution des tribunaux coraniques, la suppression de la référence à l’Islam comme la religion de l’État en 1928 et la mention du principe de la laïcité dans la Constitution en 1937.
Fort de l’appui d’un peuple auquel il a rendu son honneur et sa fierté, «Ne mutlu Türküm diyene»[34], Mustafa Kemal se lança dans l’entreprise de la rénovation de la Turquie: «turquifier, moderniser, occidentaliser» deviennent les trois axes d’une vaste politique appuyée sur un parti unique, le parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi, dit Halk Partisi).
Le creuset turc
La Turquie kémaliste a donc voulu souder toutes les populations de la Turquie autour d’un même idéal national et a poursuivi, dès la fondation de la République, une politique d’intégration et d’assimilation des minorités[35]. Cette politique concernait non seulement les populations non musulmanes, mais encore les différents éléments musulmans disséminés à travers le pays.
Grecs, Juifs et Arméniens se sont dans l’ensemble assez mal accommodés des tendances unificatrices du nouveau régime; elles n’ont pas résisté à une progressive désintégration qui a pris la forme de départs massifs en direction de l’étranger. Ces départs ont atteint une telle ampleur que les grandes villes de Turquie ont presque entièrement perdu le profil cosmopolite qu’elles présentaient encore vers le milieu du siècle.
En ce qui concerne les Grecs, le coup d’envoi de l’émigration a été surtout donné par l’envenimement de la question chypriote à partir de 1955; le nombre des Grecs se situe de nos jours probablement aux alentours de 8 000 à 10 000 personnes.
L’exode des Juifs, stimulée par la création de l’État d’Israël, a atteint des proportions importantes dès la fin des années 40 et s’est poursuivie, par accès cycliques, tout au long des décennies suivantes. Les Juifs ne représentent plus qu’une population d’environ 17 000 âmes.
De caractère à la fois endémique et plus discrète, l’émigration arménienne elle, s’est développée parallèlement à celle des Grecs, sous l’effet des mêmes facteurs. Cependant, la communauté arménienne est celle qui s’est le mieux maintenue: elle compte, dans la seule agglomération d’Istanbul, quelque 60 à 70 000 membres.
Face aux populations non turques mais de confession islamique, la politique d’assimilation menée par le pouvoir républicain a donné en général - mais pas toujours - des résultats plus concluants qu’avec les Juifs ou les Chrétiens. L’appartenance de ces groupes ethniques à la même religion que l’élément turc a incontestablement facilité les choses. Ont également joué en faveur du processus d’assimilation les liens historiques tissés au fil des siècles entre les Turcs et leurs «protégés». Néanmoins, il suffit de parcourir l’Anatolie pour se rendre compte que la diversité ethnique y constitue, encore à l’heure actuelle, un phénomène répandu. Les diverses ethnies (Lazes[36], Tcherkesses[37], noyaux arabophones, Kurdes[38], groupes d’origine caucasienne, immigrés venus des anciennes provinces de l’Empire[39]) qui cohabitent avec l’élément turc conservent leurs usages, souvent leur langue et, en tout état de cause, une vive conscience de leur identité propre, tout en affirmant leur «allégeance» à la communauté nationale et leur «identification» à une même «conscience nationale».
Les relations entre ces nombreuses composantes de la population non turque et le pouvoir central ont toujours été, dans l’ensemble, fort bonnes. Seule l’intégration des Kurdes «dévoyés qui ont oublié leur langue (le turc) et leur identité» a posé et continue de poser de sérieux problèmes. Après les violents affrontements qui ont opposé, dans les premiers temps de la République, cette ethnie aux autorités kémalistes, de multiples incidents sont venus et viennent toujours rappeler, à intervalles réguliers, l’existence d’une question kurde insolvable[40].
Cependant, depuis un certain nombre d’années déjà, le gouvernement d’Ankara s’est tourné, pour réduire les particularismes locaux, vers une stratégie de développement tous azimuts[41]. Il y a lieu de penser que celle-ci fera plus pour l’entière intégration de ces provinces dans la communauté nationale que les affrontements de naguère.
Le noyau fondateur du courant turco-islamique, le «Foyer d’Intellectuels» (ou Foyer des Lumières, Aydınlar Ocağı), créé en 1970 par les élites de droite, réussit surtout à faire la synthèse entre les tendances nationalistes kémalistes ou supranationaliste panturquiste et l’islamisme; et parvint à devenir le mentor du front national, coalition des partis de droite et d’extrême droite qui dirigea le pays de 1975 à 1980, de la constitution conservatrice établie par les militaires en 1982.
Retour a la «synthèse turco-islamique» ou au «nationalisme laïc»
La «synthèse turco-islamique», qui a inspiré certains auteurs du coup d’Etat militaire de 1980 en vue d’enrayer la crise éco-financière et la dégradation de la situation intérieure, a, en tout cas, fourni au nouveau régime sa pensée. Le pouvoir militaire et son entourage se lancèrent dans l’innovation idéologique avec le lancement de la «synthèse turco-islamique», la nouvelle formule du nationalisme turc. Celle-ci reprend l’importance, affirmée pendant les années trente, de la civilisation turque développée en Asie centrale, la «culture des steppes», en lui injectant un contenu religieux.
Jusqu’à ces dernières années, Mustafa Kemal et ses successeurs, se réclamant de lui, menèrent une politique d’exaltation de la nation turque, et de tout ce qui était turc: la langue, l’histoire pré-ottomane, le soutien envers les pays ou peuples turcophones, etc.
Des Turcs, qui ne sont ni d’origine arménienne ni kurde, et qui n’appartiennent à aucune minorité religieuse, manifestent et défilent par dizaines de milliers, comme lors de la mort de Hrant Dink[42], exaspérés des dérives autoritaires de l’»Etat profond» (qui n’est autre que l’avatar haineux et vociférant du nationalisme turco-islamique ou laïc).
Depuis la dernière mouture du Code Pénal en 2005, en vertu de l’article 301, plusieurs Turcs ont eu maille a partir avec la justice pour avoir paraît-il «porté atteinte à la Nation turque»[43]. Ce code punit aussi les atteintes aux intérêts nationaux fondamentaux (article 305), l’incitation à la haine, à l’hostilité ou à l’humiliation (article 216), ou encore le fait de détourner la population du service militaire (article 318)[44].
Les événements qui secouent actuellement la région laissent augurer de profonds changements majeurs en Turquie. Déjà, le pays fait face à un conflit identitaire ou à un tiraillement interne: la montée de l’islamisme, et le refus de plus en plus marqué de l’impérialisme occidental. L’actuelle confrontation entre ces deux tendances met en opposition modernité et turcité[45], et conduit de plus en plus à renforcer le nationalisme de la population turque. Certains politologues vont même jusqu’à redouter un retour du nationalisme laïc autoritaire qui serait dangereux et dévastateur pour l’image de la Turquie européenne[46], pourtant encore candidate virtuelle à l’Union Européenne.
Conclusion
La «synthèse turco-islamique» n’est pas exempte de contradictions. Puisque sa seconde composante risque à tout moment d’être happée par le panislamisme rampant et la première, de dériver vers les revendications impérialistes de «libération des frères turcs»[47] - de Mossoul et d’ailleurs[48] -, et d’ouvrir la porte aux revendications nationales kurdes dont le nationalisme toujours vivace reprend sous une forme de militantisme militaire dès 1984.
Plus de soixante quinze ans après sa mort, les principes d’Atatürk sont toujours, officiellement du moins, ceux qui régissent la République turque. Les villes en plein essor et l’infrastructure en plein développement ont donné au pays une allure authentiquement moderne. Mais la question cruciale demeure: les 76 805 524[49] habitants de ce pays en voie de développement n’ont-ils pas négligé les «travaux en cours» d’une recherche de l’identité nationale parce qu’ils étaient satisfaits d’une identité adaptée à 10 millions d’âmes, toutes ethnies confondues, essayant de surmonter le choc de la défaite militaire et le marasme économique?
Si tous les milieux[50] de Turquie n’acceptent aveuglément que symboliquement les principes d’Atatürk (qui ne sont pas forcément bien compris), c’est peut-être, hélas, à cause d’une certaine presse intellectuelle qui juge plus facile de répéter des clichés que d’approfondir des nouveautés.
Acculée à un voisinage plus ou moins hostile qui la qualifie entre autres de laquais de l’OTAN ou de l’administration américaine, secouée par une revendication séparatiste kurde allant de l’avant, placée devant ses responsabilités vis-à-vis de ses frères turcs d’outre frontières[51], refoulée par l’Union Européenne, «ranimée d’esprit de croisade», la Turquie essaie de colmater les brèches d’une manière ou d’une autre.
Mais une question, à plusieurs volets, se pose en termes pressants: comment la Turquie pourrait-elle retrouver son identité sans pour autant perdre ses acquis gagnés durant des décennies? En d’autres termes, comment la Turquie pourrait-elle réconcilier passé et présent, et s’investir en grande nation[52] dans l’avenir? La Turquie est-elle sortie de l’ère pro-occidentale amorcée par Atatürk pour entrer dans l’ère anti-occidentale prônée par Recep Tayyip Erdoğan (1954- )? La Turquie serait-elle en train de redéfinir une laïcité turque ou un islam laïc ? La Turquie est-elle en passe de devenir un modèle à suivre ?
La classe dirigeante de la Turquie compte avec la puissance d’impact de l’aménagement hydraulique, qui permet les transformations les plus radicales qui se puissent concevoir du milieu naturel et de ses rapports avec les entreprises humaines. Elle espère, grâce aux projets d’aménagement (la politique des grands barrages), pouvoir provoquer des fixations «obligées» des Turcs de la montagne (dénomination quasi-officielle de la population kurde)[53] et d’en finir avec cette hémorragie interne en monnayant ses «prestations hydrauliques» aux pays de la région en manque d’eau.
Sans idée précise de ce qu’elle aimerait être, la Turquie ne peut pas projeter une image plausible d’elle-même. Par contre, l’image que les non-Turcs (Arabes et Kurdes entre autres) ont du pays exerce une influence notable sur la quête de soi de la Turquie. Pour redéfinir l’identité de la Turquie, la meilleure approche ne consiste pas à restaurer simplement le cliché éculé de la «Turquie, pont entre l’Orient et l’Occident», mais en le modifiant: au lieu de considérer l’identité turque comme le pont lui-même, pourquoi ne pas l’envisager comme la quintessence de la circulation intense à double sens qui l’emprunte?
L’intérêt de substituer une image dynamique à une image statique est aussi d’inciter à voir le phénomène du «turquisme» comme une métaphore et non une loi; la clarté et l’identité semblent presque contradictoires et, même quand la crise d’identité sera terminée, la quête se poursuivra à jamais.
Mais, entre rejouer les représentations du passé ou en dénouer les nœuds gordiens pour libérer l’avenir, la Turquie se doit de choisir entre juger son Histoire ou se laisser juger par elle.
[1]- Türk signifie «fort».
[2]- Appelés aussi les «Jeunes-Turcs Unionistes» de la deuxième période constitutionnelle de l’Empire ottoman (1908-1918) - la première datant de 1877 -.
[3]- Türkiye signifie littéralement Pays des Turcs.
[4]- Surnom de Mustafa Kemal (1881-1938), dit Atatürk. Ata voulant dire à la fois «père» et «ancêtre», «Türkata» eut été grammaticalement plus juste mais moins harmonieux que «Atatürk». Le 24 novembre 1934, à l’unanimité, l’Assemblée nationale propose à Kemal de devenir «Atatürk», c’est-à-dire littéralement «Turc-père».
[5]- Dimitri Kitsikis, «L’Empire ottoman», Paris, PUF, 1991, pp. 120-122; Riva Kastoryano, «Le nationalisme turc», avril 1999, disponible sur le site: http://www.ceri-sciences-po.org
[6]- Six pays souverains (Turquie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizie, Turkménistan), et de nombreuses entités politiques aux statuts très divers des Balkans à la Chine. Il faut différencier entre turquisme (türkçülük) et panturquisme (türkçülük), turcité (türklük) et appartenance à un peuple turcophone. Les Turcs parlent de Kazak Türkleri (Turcs kazakhs) ou Özbek Türkleri (Turcs ouzbeks) là ou les intéressés eux-mêmes affirment fièrement leur identité nationale retrouvée avec le démantèlement de l’Union Soviétique.
[7]- Colonel Lanouche, «Histoire de la Turquie», Payot, Paris, 1953, pp. 9-18 (chap. I - L’origine des Turcs et leur premier établissement en Asie Mineure).
[8]- Ordu signifie armée.
[9]- Il y a trois groupes de sémites qui se distinguent par leurs langues: les juifs, les arabes et les assyriens.
[10]- Le berceau des langues turques se situe quelque part entre Altaï et Xangay-Xentey (ou Khangaï et Khenteï) dans l’actuelle Mongolie. Le groupe linguistique turc est classé dans un domaine altaïque qui recouvre les langues turques/turciques, mongoles et toungouzes-mandchoues. De fait, non moins d’une quarantaine de langues altaïques sont classées comme turques et turciques. Les effectifs vont de quelques dizaines de millions () à quelques centaines de locuteurs (Tofa de Sibérie, Tsaatan de Mongolie…).
[11]- La question de savoir si les Turcs sont de race jaune est loin d’être tirée au clair. On constate que les turcs d’Asie Centrale, berceau des turcs, sont actuellement de race jaune; on en a conclu hâtivement qu’ils descendaient d’une même souche ethnique. Cependant, il est fort plausible que dès les temps les plus anciens, il y ait eu des turcs de race blanche à côté des turcs de race jaune. Ainsi, le nom «Turc» servirait à couvrir, non pas une unité ethnologique, mais seulement une unité linguistique.
[12]- C’est aux Ouïgours de la région de Tourfan - c’est à dire au nord du Turkestan oriental, dans les vallées des Monts Tian-Chian - que l’on doit en grande partie la turquisation des pays qui portent aujourd’hui le nom de Turkestan, bien que cette transformation ethnique ait été commencée par les Türüks.
[13]- Il existe aujourd’hui un petit nombre de turcs chrétiens en Pologne, les Gagauz, et des juifs d’origine turque, les Karaïtes, qui vivent dans les États baltes.
[14]- Les Arabes ne semblent pas avoir lu les passages de l’histoire romaine relatifs au recrutement et au licenciement des étrangers dans la milice.
[15]- Pour plus d’information, voir: Dimitri Kitsikis, op. cit.
[16]- Voir Colonel Lanouche, op. cit., pp. 19-91.
[17]- Afin de s’attirer le soutien des provinces arabes, le gouvernement du sultan Abdülhamit (l876-1909) recherche une politique panislamique. Mais cette tentative a pour double résultat de renforcer l’opposition des Jeunes-Turcs rassemblés dans le Comité Union et Progrès (dit le Komiteh), et de radicaliser celle des Arméniens après une répression terrible consécutive à une vague d’attentats (1892-1896).
[18]- Le terme «le peuple turc» a fait son apparition le 8 avril 1923 parmi les «Neufs Principes» énoncés par Mustafa Kemal Atatürk.
[19]- «Appeler Turc un osmanli (ottoman), notait déjà le français Jouannin en l840, c’est lui adresser une grossière injure», cité in Alexandre Jevakhoff, Kemal Atatürk, «Les chemins de l’Occident», Tallandier, 1989, p. 11.
[20]- D’après une annonce parue dans le quotidien Cumhuriyet en date du 24/07/1937, l’une des conditions recherchées pour les postulants à l’École Vétérinaire Militaire d’Ankara été d’être de «race turque». Dans une autre annonce parue dans le même quotidien le 6/09/1938, les candidats devaient «appartenir à la race turque» pour devenir professeurs à l’École d’Aviation.
[21]- Je suis Turc, ma religion, ma race sont grandes.
[22]- L’idée panturque est très ancienne et les théoriciens du mouvement ont sans doute quelque raison à rechercher son origine dans les anciennes civilisations de l’Asie Centrale: il semble bien que les peuples Türüks ou Uygurs avaient déjà une notion de leur communauté de famille. Dans son aspect moderne, c’est vers 1905, en Russie, qu’apparurent ses premières manifestations. En 1908, l’Assemblée turque fut fondée à Istanbul dans le but d’étudier la situation et les activités de tous les peuples turcs. Voir Jean-Paul ROUX, «La Turquie», Payot, Paris, 1953, p. 148.
[23]- Membre du Comité central du Comité Union et Progrès sans interruption depuis 1908, Gökalp passe pour le théoricien du nationalisme turc. Le Foyer turc (Türk Ocağı), les réformes modernistes imposées par le Comité Union et Progrès, l’illusion du pantouranisme doivent beaucoup à cet homme qui a souffert dans sa jeunesse tous les tourments de l’intellectuel réformiste nationaliste. Gökalp est devenu un véritable parrain, à la croisée des mondes politique et intellectuel. Les revues dont le premier professeur de sociologie à l’Université d’Istanbul (1915) est directement ou indirectement responsable, la Yeni Mecmua (nouvelle revue), la Büyük Mecmua (grande revue), la Revue de la Faculté de littérature, la Revue d’Économie politique, et l’activité de ses collaborateurs et disciples, comme la romancière et pédagogue Halide Edip ou le journaliste et futur mémorialiste d’Atatürk, Falih Rifki, lui assurent une influence considérable.
[24]- Voir Jean-Paul Roux, «La Turquie», op.cit., p. 148.
[25]- Ibid.
[26]- Voir C.A.O. Van Nieuwenhuijze, «Sociology of the Middle East», Leiden, E.J. Brill, 1971, pp. 33l-338.
[27]- Commencée le 23 avril 1923, la Conférence de Lausanne s’achèvera trois mois après par la signature du Traité de Lausanne. La nouvelle Turquie, dont l’indépendance est reconnue par la France, l’Italie, la Grande Bretagne, le Japon, la Roumanie et la Yougoslavie se confond, grosso modo, avec celle dessinée par le Pacte national turc. On ne parle plus de Kurdistan et la partie arménienne s’arrête à la limite de la République soviétique d’Arménie. Seule déception pour les turcs, Mossoul. La Conférence de Lausanne a décidé de ne pas décider. Londres et Ankara devant poursuivre leurs négociations sous les auspices de la Société des Nations. Les capitulations sont abolies et toutes les concessions étrangères, ainsi que la dette ottomane, seront renégociées. La Turquie, enfin, recouvre la liberté en matière de politique douanière.
[28]- Le 10 août 1920, le traité de Sèvres est signé. Il internationalise les détroits, place de facto Izmir et la plus grande partie de la Thrace sous souveraineté grecque, prévoit la création, par la Société des Nations, d’un Kurdistan indépendant, établit une Arménie indépendante et crée des zones d’influence, pour la France, dans le sud-est de l’Anatolie, et pour l’Italie dans le sud-ouest.
[29]- Voir C.A.O. Van Nieuwenhuijze, op. cit. p. 339.
[30]- Les Turcs appellent leur pays Türkiye depuis 1923. Auparavant, la Turquie d’Europe était connue par les Turcs sous le nom de Roumélie (pays des Roums, des Grecs) et celle d’Asie était appelée l’Anatolie (mot grec signifiant le Levant). En bon turc, les Turcs auraient du appeler leur Etat Türkeli ou adopter l’appellation iranienne Türkistan. Le Turkestan (en turc Türkistan) est littéralement le pays des Turcs, comme le Kazakhstan est le pays des Kazakhs ou l’Afghanistan celui des Afghans… Pour plus d’information, voir : Thierry Zarcone, «La Turquie. De l’Empire ottoman à la République d’Atatürk», Paris, Gallimard, 2005.
[31]- Voir à ce sujet, Alexandre Jevakhoff, op. cit. pp. 291-292, 394-396, 407-408, 414 et 416.
[32]- Voir «La contribution et les directives d’Atatürk à l’avancement des travaux de l’Association d’Histoire turque», in Alexandre Jevakhoff, op. cit. pp. 419-423.
[33]- Thierry Zarcone, op. cit., pp. 80-81.
[34]- Heureux celui qui se dit Turc ou Quel bonheur pour celui qui se dit je suis turc. Ce slogan est celui qu’Atatürk a imposé comme emblème de la turquie. Türk, öğün, çalış, güven (Turc, sois fier, travaille, sois confiant), Yurtta sulh, cihanda sulh (Paix dans le pays, paix dans le monde). Ces slogans sont rappelés à l’envi sur nombre de monuments, frontons publics, voire versants de montagnes ! Pour plus d’information, voir: Ahmet Yıldız, «Ne mutlu Türküm diyebilene» Türk Ulusal Kimliğininm Etno Seküler Sınırlan (1919-1938), İletşim Yayınları, 2001 «‘Heureux celui qui se dit Turc’, Les frontières ethno-séculaires de l’identité nationale turque».
[35]- Voir, concernant la question de la genèse de la nation turque, Stéphane Yerasimos, «Ethnies et minorités en Turquie: quelques réflexions sur un problème insoluble», Les Temps Modernes, juillet-août 1984, nº 456-457, pp. 106-108 [96-122] ; voir aussi C.A.O. Van Nieuwenhuijze, op. cit. pp. 345-346.
[36]- Peuple islamisé de Géorgie, émigré autour de Trébizonde. Les Lazes installés en Turquie étaient au nombre de 200 000 personnes en 1984. Cependant, il subsiste toujours des membres de cette communauté en Géorgie autour de Batoumi.
[37]- Circassien ou Tcherkesse selon que l’on préfère l’appellation russe ou turque. D’origine turque, les tcherkesses ont quitté leur Caucase natal à la fin de la conquête russe, vers 1800, et se sont réfugiés dans l’Empire ottoman. La majeure partie d’entre eux (probablement près d’un million) ont émigré vers l’Empire ottoman. Les circassiens ont été comblés par le pouvoir ottoman, heureux de récupérer ces frères musulmans chassés par la conquête tsariste. Des terres leur ont été offertes et des privilèges fiscaux accordés. Le Palais les a toujours appréciés, les hommes pour leur vigueur, les femmes pour leur beauté. Leurs descendants forment encore des colonies importantes en Turquie.
[38]- En Turquie vit, au moins, de 12 à 15 millions de Kurdes, ce qui constitue environ 20% de la population de la Turquie. Entre 1964 et 1971, leur situation s’est améliorée grâce à une certaine libéralisation du régime. Mais la proclamation de l’état de siège (26 avril 1971), puis le durcissement de la politique intérieure marquent l’arrêt de ce processus. A partir de 1984, le nouveau régime, issu du putsch militaire de 1980, mène une dure politique de répression contre le nationalisme kurde.
[39]- Depuis la fin du XVIIIe siècle de nombreuses vagues de réfugiés «muhacir» turcs et musulmans revenus des Balkans, suivent le repli de la puissance ottomane, et les pays conquis par les Russes (Turcs de Crimée, Tcherkesses du Caucase, au nombre de plusieurs centaines de millions, Turcs de diverses ethnies d’Asie centrale). Le total a dû atteindre trois millions de personnes, et leurs descendants constituent aujourd’hui le quart de la population de la Turquie.
[40]- Voir : Kendal Nezan, «La genèse du nationalisme kurde», Confluences Méditerranée, Été 2000, disponible sur le site : http://www. Confluences-mediterranee.com/numeros/34.htm
[41]- Cette stratégie tend vers la stratification sociale, par l’émergence de nouvelles couches sociales dans la foulée de la modernisation et de l’industrialisation. Voir Economist Intelligence Unit (EIU), Quarterly Economie Review of Turkey (Annual supplement, 1983), p. 3.
[42]- Le journaliste turc d’origine arménienne, Hrant Dink, a été abattu le 19 janvier 2007 devant les locaux de la rédaction d’Agos, le journal en langue arménienne qu’il dirigeait. Aucun doute ne subsiste quant à l’identité du tireur, bénéficiant du soutien des forces de l’ordre et des groupuscules ultranationalistes. Ce qui fait encore question dans cette affaire, c’est l’étendue de la ramification de cette pieuvre qui a su s’enfouir profondément au sein des structures de l’Etat.
[43]- On doit rajouter l’atteinte à la mémoire d’Atatürk (loi no 5816 du 25 juillet 1951).
[44]- Pour quelques articles et un livre consacré à l’affaire Hrant Dink, Nedim Sener, du quotidien Milliyet encourt une peine de prison lourde. Arat Dink a été lui aussi poursuivi pour avoir seulement fait mention des propos tenus par son père en 2006 à l’agence de presse Reuters dans lequel l’éditorialiste parlait du génocide arménien de 1915.
[45]- La turcité peut se définir par ses composantes traditionalistes et religieuses. Pour plus d’information sur le sujet, voir : Nasan Maksudyan, Türklüğü Ölçmek, (Bilimkurgusal Antropoloji ve Türk Milliyetçiliğinin Irkçı Çehresi), Metis Yayınları, 2005 «Mesurer la turcité, Science-fiction anthropologique et le visage raciste du nationalisme turc».
[46]- Voir : Jean-Francois Bayart, «Turquie : un nationalisme est-européen et postimpérial, Fonds d’analyse des sociétés politiques», pp. 139-153, disponible sur le site : http://www. fasopo.org/publications/legscolonial_jfb_1205.pdf
[47]- Turcs d’Iran, au moins 19 500 000 locuteurs selon les recensements iraniens, ou d’Afghanistan, estimés à au moins 3 millions, Ouzbeks Turkmènes et autres beaucoup moins nombreux.
[48]- On est en droit de se demander si, depuis la proclamation de la République en 1923, la Turquie avait voulu oublier ses frères turcs (de Bulgarie, du Caucase, ...). Car, tout d’un coup, la fin du communisme mit fin brutalement à cette quasi insularité voulue par Atatürk. Dès lors, ce désenclavement est-il le désaveu du nationalisme kémaliste ou, au contraire, son accomplissement ?
[49]- Chiffre donné à titre indicatif pour juillet 2009 (http://www.cia.gov/cia/publications/factbook/...).
[50]- Il faut, à ce stade, considérer le rôle de l’intellectuel turc et la différence entre l’intellectuel occidental et son homologue turc. La plupart des intellectuels occidentaux ont dépassé le stade de la recherche de leur identité nationale (même les idées d’Oswald Spengler dans «Le Déclin de l’Occident» sont aujourd’hui démodées) et ne se considèrent plus comme les mentors de la nation. L’intellectuel turc, par contre, surtout «l’intellectuel progressiste», estime que c’est son devoir et son privilège de guider la nation qu’il «daigne préparer» à la démocratie. Ces explications permettent d’affirmer, sans simplification excessive, qu’en comparaison des masses, les milieux intellectuels souffrent d’une sorte de crise provoquée non seulement par le conflit qui se déroule dans leur esprit entre la pensée occidentale et les courants idéologiques, une certaine nostalgie du passé glorieux (et, en partie, l’héritage de l’Islam), mais aussi par la rupture du lien avec les masses, seules véritables dépositaires du «turquisme».
[51]- Les gouvernements turcs successifs ont massivement investi dans les relations torco-turciques, ne serait-ce qu’en créant des outils spécifiques (Türk İşbirliği Kalkınma Ajansi [Agence Turque de Coopération et de Développement], et Türk Kültür ve Sanatlar Ortak Yönetimi [Direction de la Culture et des Arts Turcs]) ou en multipliant les accords bilatéraux et multilatéraux.
[52]- Le débat national qui s’est engagé sur les efforts de promotion de la Turquie, qui domine les médias et l’opinion publique dans le pays, est lié à l’exaspération permanente de cette opinion devant le manque d’impartialité avec lequel ils sont représentés. La réaction vient égocentrique, l’une agressive, l’autre excessivement autocritique et malsaine.
[53]- Norman Frankel, «Water and Turkish Foreign Policy», Political Communication and Persuasion, Vol. 8, nº 4, pp. 269-270.
في أساس "القومية التركية":
جولة مقتضبة تاريخية على الأسس التي قامت عليها الجمهورية
إستفاق «الأكراد» على القومية في اليوم الذي بدأوا يفقدون فيه الإمبراطورية، فهي التي ألهمت ثورة «الشباب الأتراك» العام 1908 ثم حفرت شيئاً فشيئاً هوية الإمبراطورية المتهاوية بعيد الحرب العالمية العام 1914 لتصل في النهاية إلى إنشاء وطن جديد ومختلف اسمه تركيا مع أتاتورك.
منذ زمن غير بعيد، كانت تركيا الحالية عبارة عن مقاطعة في إمبراطورية عثمانية كبيرة، كانت تتميّز بتعدّديتها الثقافية والإثنية وحتى الدينية أو المذهبية.
فالقومية التركية ليست إذاً عبارة عن صورة لازمانية، بل على العكس فإن نشأتها وبدايتها هي وليدة وضع سياسي واجتماعي خص، عرف تطوّرات على مدى القرون، والتي سوف نعود إليها لاحقاً باختصار.
يتميّز المجتمع التركي الحالي بنموّ قومية بهندسة متحركة (النموذج التركي، القومية التركية – الإسلامية، القومية العلمانية، أو القومية العلمانية المتسلطة)، والتي لا يمكن لأحد بأن يصفها كما لو أنها ستكبح مسار التطوّر في البلد.
في هذا المقال، لا مجال لإجراء نقد أو مديح للقومية التركية، بل العودة إلى أصولها، أسبابها، تحركاتها السابقة والقادمة.