La recomposition géopolitique du Proche-orient après la guerre de juillet 2006 au Liban

La recomposition géopolitique du Proche-orient après la guerre de juillet 2006 au Liban
Préparé par: Angela Kahil
Chercheur

Le 12 juillet 2006 est déclenchée la seconde guerre israélo-libanaise (conflit qui se caractérise par la particularité de l’un de ses belligérants, à savoir le Hezbollah, parti politique chiite libanais, dans la mesure où l’on a pu constater le désengagement militaire de l’Etat libanais). Ce conflit, de par ses origines, ne va sans rappeler le précédent, celui de 1982 - caractérisé par l’invasion israélienne au Liban, pour mettre fin à la présence de l’OLP, dont les bases et les attaques menaçant la sécurité de l’Etat hébreu. En effet, si la cause de l’invasion israélienne au sud Liban a bien été l’attentat commis contre un diplomate israélien à Londres, celle de 2006 réside, selon Israël, dans la prise en otage de deux soldats israéliens suite à un accrochage à la frontière entre le Hezbollah et l’armée israélienne.

Cette comparaison apparaît quelque peu utile en ce sens où une simple provocation aboutit à un conflit d’une grande ampleur, aussi bien dans la région que sur la scène internationale, dont les principaux acteurs, membres essentiellement du conseil de sécurité de l’ONU ont été apparemment incapables – du moins jusqu’au 5 août – de parvenir, à l’initiative des Etats-unis et de la France, à une résolution qui vise à arrêter le conflit, résolution qui sera adoptée le 11 août et approuvée par le gouvernement libanais, y compris les ministres du Hezbollah le lendemain.

C’est ainsi que cette guerre paraît inédite à l’aube du XXIème siècle, dans un monde, où la notion d’Etat de droit se diffuse de plus en plus, et qui prône, on ne peut plus ouvertement, les principes démocratiques relatifs aux droits de l’Homme et à la souveraineté de chaque Etat. Elle semble d’ailleurs ancrée dans un contexte qui dépasse la simple confrontation bilatérale. On assiste en effet depuis l’entrée en guerre des Etats-unis contre le terrorisme et plus particulièrement contre l’ «axe du Mal» depuis le 11 septembre 2001, à une volonté de la part de la puissance hégémonique de redessiner la carte géopolitique et stratégique du Moyen-Orient, qui consiste à privilégier ses intérêts dans la région, mais également la pérennité d’Israël, menacé d’emblée par la puissance émergente – l’Iran – et ses alliés potentiels.

Si la nouvelle donne internationale commence par une «victoire» américaine/démocratique en Afghanistan dans le courant de l’année 2001, il n’en est pas moins vrai en ce qui concerne la suite des interventions: le bourbier irakien depuis 2003 remet en cause la crédibilité du président Georges.W. Bush, ainsi que son gouvernement ; la victoire du Hezbollah et ses conséquences -  à savoir la radicalisation de l’opposition libanaise face à un gouvernement qui perd de plus en plus sa légitimité, mais qui pourtant dispose d’un soutien international au nom apparemment de principes dits démocratiques que ne semble incarner aux yeux des grandes puissances, le Hezbollah et ses alliés – discrédite encore une fois la politique sécuritaire israélienne, et ainsi le projet américain de «sunnisation» de la région.

Quoi qu’il en soit, près de six mois après la fin de la guerre, quel bilan politique et militaire peut-on établir? Quels sont les acteurs renforcés ou affaiblis par la guerre? Sans doute peut-on parler d’une recomposition régionale, mais également nationale, surtout au Liban et en Israël. Quels sont ses caractéristiques et ses enjeux?

Le sujet cherche surtout à définir les nouveaux rapports de force au Moyen-Orient qui s’expriment surtout à partir de la guerre de Juillet 2006 entre Israël et le Liban. Cette guerre vient confirmer encore une fois l’enjeu de la région dans les relations internationales, mais surtout les problèmes et tensions intrinsèques de la région, entre les principaux Etats belligérants: Israël, la «Palestine», l’Iran, la Syrie et bien sûr le Liban, qui connaît un véritable bouleversement et politique et social, voire une crise grave qui ne fait que remettre en cause son consocialisme et son unité. La poursuite du conflit israélo-palestinien sous la forme de rupture diplomatique et de conflit utérin entre les différentes factions palestiniennes, l’émergence de l’Iran en tant que puissance régionale menaçant pour les uns l’équilibre et la sécurité de la région, et pour les autres une puissance en pleine expansion nécessaire à la lutte et à la résistance contre l’impérialisme occidental, la Syrie dont la responsabilité politique dans le déséquilibre régional, est dénoncée par la communauté internationale, et enfin le déclin des Etats-Unis en Irak et les conséquences du plan Baker – tant de problématiques nécessaires pour comprendre le nouvel enjeu du grand Moyen-Orient à l’heure où sont de plus en plus contestées les ingérences extérieures, mais aussi où les populations s’imposent comme une arme politique qui dispose on ne peut plus légitimement de leur propre destin.

Voilà ainsi l’objectif d’un tel travail: montrer encore une fois la complexité d’une région, qui n’a pas su dire non à une nouvelle guerre, et qui tente de se recomposer sous les auspices de la communauté internationale, notamment les Etats-Unis, véritables «gendarmes» dans la région et l’Union européenne favorable au dialogue en adoptant une attitude diplomatique envers certains Etats qui rejettent toute attitude de compromis.

Ceci nous amène ainsi à réfléchir d’abord à l’échelle locale/nationale, puis dans une démarche synthétique à la question de la nouvelle donne régionale.

 

Le Liban à l’issue de la guerre:un pays en crise de légitimité

L’acteur principal, en ce qui nous concerne, étant le Liban, nous dresserons d’abord un bilan de la guerre avant de nous poser la question de la souveraineté, sachant que l’Etat souverain demeure le lieu de la légitimité.

Le bilan de la guerre est très lourd pour le Liban à tous les niveaux: matériel, humain, moral et politique. Les premières attaques israéliennes ont consisté à détruire l’infrastructure du Liban sud (voies d’eau, électricité, routes, ponts...) avant d’atteindre l’aéroport international de Beyrouth et de maintenir un blocus sur le pays entier. Le Hezbollah a, quant à lui, entrepris des actions militaires au nord d’Israël, notamment des missiles F-16, faisant plusieurs dizaines de tués. Le soir même, le leader Hassan Nasrallah annonçait des représailles à ce qu’il appelait une «déclaration de guerre ouverte et totale»i.

Au cours de cette guerre, Israël a mené une entreprise que l’on peut qualifier de contraire aux principes moraux du droit international: un officier de l’armée israélienne a avoué que plus d’un million de bombes à fragmentation ont été lancées délibérément sur des régions habitées au Liban. Notons à ce titre que près de 40% de ces bombes n’ont pas explosé à l’impact et restent ainsi dangereuses pour la population civile Libanaise. A ces bombes s’ajoutent des centaines d’autres bombes à base de phosphore, interdites pourtant par la convention de Genèveii. Tsahal a également bombardé entre autre les fermes (chrétiennes) de Taanayel, qui fournissent des produits laitiers aux forces de l’ONU de toute la région. Mais également d’autres régions chrétiennes – Israël espérant que leurs populations se soulèveraient contre le Hezbollah et ainsi les inciter à une nouvelle guerre civile, mais en vain. Les bombardements ont même visé une caserne de l’ONU, faisant ainsi 4 victimes. On peut ainsi voir qu’Israël n’a pas mené une guerre exclusivement contre le Hezbollah, mais elle a intentionnellement détruit le Liban, en l’instaurant dans une crise internationale, mais surtout interne, au sein même de ses forces politiques, ruinant les efforts des réformes démocratiques et de la réconciliation nationale.

Par ailleurs, le Liban sombre dans une crise financière après la guerre. Les destructions massives infligées par les bombardements israéliens ébranlent l’économie libanaise, déjà fragilisée par les plus de quarante milliards de dettes – dette publique qui a augmenté depuis 1989 jusqu’à deux fois le produit intérieur brut. Bien avant la guerre, les dirigeants libanais espéraient une conférence internationale des donateurs. Pour les souverainistes libanais, cette aide internationale risquerait de faire écho à un néo-colonialisme, voire à une sorte de marchandage politique entre les puissances occidentales et les dirigeants actuels du pays. Le chaos est ainsi dû à la crise financière et à la spirale de l’endettement qui s’est aggravé avec l’aide à la reconstruction accordée dans le cadre de la conférence de Paris III. Le Liban, avec cette aide, ne fait que renforcer sa dépendance vis-à-vis de la communauté internationale, et notamment la Banque mondiale. Cet endettement, que les destructions matérielles engendrées par la guerre ont suscité, ainsi que les quarante milliards précédents, placent le Liban dans une fragilité incommensurable. La double instabilité – et économique et politique – ne fait que renforcer les inquiétudes et les affrontements, et semble défavorable dans l’avenir proche à toute solution négociée.

Afin de faire face à la crise, des réformes sont indispensables. Elles sont en effet nécessaires pour restaurer les fonctions économiques de l’Etat, sa légitimité et son efficacité. La restructuration de la dette publique et la série de privatisations ne semblent pas suffisantes pour redonner à l’Etat son autorité. Selon Charbel Nahas, chercheur économiste au Center for Policy Studies, «ce qu’il faut au Liban est un mieux d’Etat et non pas un moins d’Etat.»iii Ainsi la crise économique semble indissociable de la crise politique et institutionnelle qui touche depuis quelques mois le pays. Il faudrait donc mettre en place un nouveau système institutionnel, visant à déstructurer l’emprise des groupements politiques à base communautaires, à commencer par établir une nouvelle loi électorale.

Si légitimité il y avait, la question de la souveraineté ne se poserait pas, mais près de deux ans après le retrait syrien, et les festivités de ce qu’on a cru appeler le «printemps libanais» n’ont apparemment pas suffi à retrouver un Liban souverain. Nous resterons objectifs dans notre définition de la souveraineté: selon le Larousse 2007, est souverain «le pouvoir suprême reconnu à l’Etat, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance internationale, où il n’est limité que par ses propres engagements».

Or nous apercevons depuis le début de la guerre de juillet 2006, une présence patente pour ne pas dire latente de l’Etat, voire un désengagement des fonctions régaliennes de l’Etat aussi bien au cours de la guerre et même après la guerre. Ce désengagement semble refléter une certaine appropriation, ou encore monopolisation du pouvoir.

Si aux yeux de la communauté internationale, le premier ministre a réussi à imposer son «leadership», en dénonçant l’entreprise israélienne et en prenant ses distances par rapport au Hezbollah, il n’en est pas moins vrai qu’il est le moteur de l’instabilité politique au Liban, ayant rompu ses liens avec la présidence de la République, qu’il accuse à tort et à travers de collaborationnisme syrien, et allant contre les principes constitutionnels, dans la mesure où le gouvernement actuel est amputé d’une partie de ses membres, qui ont certes démissionné à la suite d’un désaccord avec le gouvernement, en l’occurrence quatre ministres chiites et deux chrétiens orthodoxes.

Quoi qu’il en soit la question de la légitimité est posée, mais ne semble pas faire l’unanimité. La proposition et l’acceptation d’un plan sur sept points le 28 juillet 2006 permettant la conclusion d’un cessez-le-feu, ainsi que la volonté d’envoyer près de 15000 soldats libanais de l’armée nationale au sud du Liban, dans une région qui échappe depuis le début des années 1960 à cette dernière, a permis à l’autorité de l’armée libanaise d’être restaurée sur cette partie du territoire.

Sayid Hassan Nasrallah accuse en effet le Premier ministre Fouad Seniora de ne pas avoir «oeuvré à l’arrêt de la guerre, ni défendu le Liban» – accusation qui sous-entend l’idée de trahison du gouvernement, et en l’occurrence la majorité politique. Comment un pays qui vient de sortir d’une guerre meurtrissante pour l’ensemble du peuple libanais, même si seule une partie des Libanais a directement été touchée, reçoit des représentants de la communauté internationale, le premier ministre britannique Tony Blair, et autres, dont leur rôle dans le soutien et dans l’arrêt de la guerre est certain? Cette question de la trahison suggérée remet en question l’intérêt national, mais surtout l’honneur national du Liban et des Libanais, et par là même la souveraineté d’un Etat, qui se proclame pourtant comme tel. 

La crise libanaise des six derniers mois ne semble plus faire écho aux conséquences directes de la guerre. On assiste certainement à une lassitude ancrée aussi bien chez le peuple libanais qui ne se reconnaît pas dans son gouvernement, censé le représenter, et chez les forces de l’opposition, lassitude provoquée sans doute par la frigidité du gouvernement actuel. Crise ministérielle, instabilité sociale, absence de dialogue, médiation voire ingérence régionale et internationale, déflation économique, grèves générales... tant de manifestations d’une crise de la démocratie au Liban. Le Liban serait-il dans le chaos?

La division de la population serait en effet responsable de cette déstructuration du schéma politique, et des diverses orientations des deux principaux pôles de la vie politique: le gouvernement de Seniora semble favorable, voire soumis aux politiques occidentales, quant au Hezbollah et le Courant patriotique libanais du général Michel Aoun, ils semblent dénoncer cette dernière politique, interprétée comme une ingérence dans les problèmes de politique intérieure.

La crise politique au Liban entre les forces de l’opposition – le Hezbollah, Amal et le CPL – et le gouvernement, naît donc de cette incohérence et de la rupture de toute forme de dialogue après la guerre. La poursuite de la conférence du dialogue qui a commencé le 2 mars 2006 semble chose vaine à l’heure où les revendications de chacune des parties sont divergentes, en l’occurrence en ce qui concerne le choix du président de la République, qui remplacera M. Emile Lahoud, véritable pierre d’achoppement. Ce que réclament les forces de l’opposition relève de l’intérêt national: un gouvernement d’union nationale permettrait de répondre à la crise, et surtout de tenir compte de la particularité du Liban, à savoir son consocialisme et multiconfessionalisme.

L’intérêt national du Liban ne se limite pas à la formation d’un gouvernement d’union, mais repose également dans le respect du rôle de chaque parti dans la préservation de la souveraineté nationale. En effet le Hezbollah – tout en constituant pour certains le mythe de «l’Etat dans l’Etat» – s’est approprié un rôle militaire au niveau des frontières avec Israël, un rôle qui continuera tant que, selon l’organisation, l’occupation israélienne, la détention de Libanais en Israël, le détournement par ce dernier des eaux de fleuves libanais, ainsi que les agressions contre la souveraineté du Liban, comme par exemple la transgression de l’espace aérien avant et après la guerre, perdureront. Ce qui est important ici, c’est que pour la première fois, des dirigeants du Hezbollah évoquent ce que l’on pourrait appeler l’espérance de vie du parti, et par là même l’idée de la remise des armes à l’autorité étatique, une fois renouvelée. A l’heure actuelle, il n’est évidemment pas question de déposer quoi que ce soit. «Le pouvoir actuel [risquerait de] maintenir le Liban à découvert face à Israël»  et ne semble pas en mesure «de protéger le Liban, ni de le reconstruire, ni de l’unifier», selon encore une fois le chef du Hezbollah.

Un gouvernement d’union nationale permettrait dès lors de parler d’un Etat fort, résistant et juste, trois caractéristiques qui permettraient d’assurer le principe de souveraineté.

Ainsi sur le plan local, que l’on se pose ou pas, la question de la légitimité politique et constitutionnelle et de la représentation, le gouvernement Seniora – issu indirectement des élections de 2005, dispose d’un soutien régional, accordé par l’Egypte et la Jordanie, mais aussi par les Occidentaux, et a donc la possibilité de durer jusqu’aux présidentielles de 2007. Ce n’est qu’à partir de ce rendez-vous clé que l’avenir du Liban va se décider, un avenir qui ne peut se concevoir sans un président et un gouvernement qui symboliseraient l’union nationale. La crise actuelle repose essentiellement sur cette défaillance du gouvernement actuel. Les élections sont également une des caractéristiques de la démocratie, elles se doivent de manifester la volonté populaire, qui est au service de l’intérêt national.

Enfin pour garantir le semblant de «paix»,  plus d’un mois après la guerre, le Liban a eu besoin d’un soutien international, notamment sur le plan militaire.

Au Liban sud, les nouveaux contingents de la Force Internationale des Nations Unies pour le Liban se sont installés à partir du 17 septembre 2006: quartier général de l’Italie à Maarakah, celui du Ghana à Chihine, de l’Inde à Taïbé, de l’Espagne à Marjayoun, et enfin celui de la France à Bint Jbeil.

Ce nouveau dispositif a pour principal rôle de permettre selon le ministre de la défense française Michèle Alliot-Marie, d’aider l’armée libanaise  à retrouver sa souveraineté.

Pour la Syrie et l’Iran, la présence de soldats de l’ONU est perçue comme une atteinte à la souveraineté du Liban, mais il faut voir en réalité la crainte de l’application de la résolution 1559, qui prévoit entre autre le désarmement du Hezbollah, notamment à travers la nouvelle résolution 1701 des Nations unies qui dispose de l’arrêt des hostilités et l’envoi d’une force internationale.

S’il faut dresser un bilan du passé de la FINUL, cette dernière semble «un colosse aux pieds d’argile», selon Laurent Zecchini dans Le Monde du 28 septembre 2006. Force de dissuasion? Force d’interposition? Il est nécessaire de définir le rôle de la FINUL comme un rôle avant tout stabilisateur, qui ne doit en aucun cas intervenir sur le plan militaire dans le cadre de la reprise des hostilités entre les parties, au risque de mener à un conflit diplomatique, voire à une escalade sans précédent. 

 

Israël: entre la crise politique interne et la «guerre froide» régionale

Après la guerre, la popularité du Premier ministre israélien Ehud Olmert a chuté de manière radicale. Elle est passée de 77% en juillet à 22%. Si, selon le Premier ministre, Israël a gagné la  guerre, ce n’est sûrement pas sur le plan militaire et stratégique. Mais si la victoire réside dans la réalisation du principal objectif fixé, à savoir celui de «changer la donne au Liban, en frappant le Hezbollah, en l’éloignant de la frontière, en faisant que l’armée libanaise se déploie sur la frontière» ( Le Monde p. 4, samedi 23 septembre 2006). Sans doute peut-on comprendre le Premier ministre libanais: le Liban fait certainement face à une crise interne grave, qui pour certains pourrait aboutir à un conflit civil.

En tout cas, il est certain que la guerre a instauré une crise de confiance au sein de la société israélienne, mais surtout une crise morale et politique, qui s’est caractérisée par une volonté de montrer les ambitions et surtout la force de l’Etat hébreu. Force qui s’exprime par la supériorité militaire de ce dernier et la maîtrise des frappes aériennes doublées d’une stratégie militaire inégalée. Mais la défaite politique semble faire de l’ombre à la victoire militaire.

Israël tente donc de retrouver sa légitimité. Si son invasion a été confortée par la communauté internationale, ainsi que par des organisations non gouvernementales comme Amnesty international, l’Etat hébreu connaît une crise de confiance interne entre les différentes factions politiques et sociales. Cette crise concerne surtout les dirigeants politiques, accusés de scandales financiers et sexuels. Le gouvernement Olmert semble en effet pris dans une tourmente judiciaire. Et de manière générale, la coalition qui dirige le pays  est en voie d’implosion notamment à cause des dégâts causés par la guerre, qui commencent à toucher la classe politique dans son ensemble. Le gouvernement actuel a fait de nombreuses erreurs stratégiques depuis le début de la guerre déclarée par ce dernier. En détruisant avec une férocité des quartiers entiers dans les centres urbains de Beyrouth, Israël s’est elle-même affaiblie. Cet affaiblissement est marqué par une tentative de repositionnement sur la scène régionale. La guerre, rappelons-le, s’inscrit dans la politique de sécurisation de l’Etat hébreu contre les ennemis déclarés, voisins pour la plupart de celui-ci, comme la Syrie ou le Hezbollah, mais c’est surtout l’Iran qui se place dans le collimateur israélien. Guerre verbale ouverte.

Les déclarations du Premier ministre Ehud Olmert sur la détention d’un arsenal nucléaire entrent dans cette perspective d’une forme de dissuasion nucléaire avec l’Iran.

Sommes-nous en train de vivre une «guerre froide» régionale au nom de la sécurité d’Israël, «guerre froide» qui est une extension de la guerre du président américain Georges Bush déclarée contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001?

La question peut effectivement avoir une réponse affirmative, à l’heure où les incertitudes règnent sur la manière de résoudre l’impasse diplomatique entre la communauté internationale et l’Iran.

 

L’Iran: vers le repositionnement stratégique

Peut-on s’interroger sur une possible responsabilité de l’Iran dans le déclenchement de la guerre du Liban? Question qui peut se poser dans la mesure où le Hezbollah est l’allié le plus cohérent de l’Iran au Liban, mais aussi parce que les résolutions du Conseil de sécurité concernant le Liban ont suscité des réactions vives à Téhéran.

Selon l’ancien président iranien Khatami, «l’Iran est le pays le plus influent de la région». L’Iran disposerait d’une «carte chiite»pour promouvoir sa politique et son influence au Moyen-Orient. Selon des chercheurs occidentaux, et certains régimes arabes sunnites comme la Jordanie ou encore l’Egypte, le chiisme serait en effet responsable du chaos régional et probablement un des «vecteurs du terrorisme international», rassemblant l’ensemble de la minorité de tous les pays arabes.

Sachant que la politique iranienne se base sur trois principaux axes, à savoir:

          - la recherche de la souveraineté nucléaire

          - la reconnaissance de son statut de puissance régionale

          - l’opposition aux Etats-Unis,

Il semblerait que l’Iran tente de se repositionner sur le plan régional. La guerre du Liban constitue donc un enjeu géostratégique, un moyen d’établir un nouvel équilibre des forces dans la région. Elle lui a ainsi donné une image de résistance à Israël et à l’impérialisme américain auprès des populations arabes de la région. L’Iran s’affirme, et émerge comme une puissance qui modifie de manière générale l’équilibre international.

Ses ambitions nucléaires semblent ainsi au coeur des préoccupations internationales: si les déclarations privilégient le nucléaire à des fins civiles, elles connotent néanmoins une ambition moins pacifique, selon l’AIEA, qui s’inscrit comme une sorte de médiateur entre la puissance nucléaire et la communauté internationale. Les rapports de l’AIEA suggèrent en effet une certaine méfiance vis-à-vis de l’Iran, méfiance qui se confirme par les déclarations bellicistes du président Ahmedinejad à l’encontre d’Israël et de ses alliés. 

Ainsi peut-on véritablement parler de menace chiite fondée sur l’instrumentalisation des minorités chiites et en l’occurrence du Hezbollah libanais?

La minorité chiite au Liban est, sur le plan démographique, nombreuse. Cette importance démographique se caractérise également par une forte importance religieuse, notamment entre 1982 et 1985. On assiste ainsi à un renouveau chiite dans l’ensemble de la région: après la révolution iranienne de 1979, l’Iran a eu besoin de se rapprocher, voire de s’allier avec certains Etats arabes, notamment la Syrie, mais aussi en considérant la cause palestinienne dans le cadre de sa politique anti-sioniste, contribuant à renforcer aujourd’hui la popularité et la légitimité du président Ahmedinejad dans le monde musulman. Liens spirituels et culturels avec le Hezbollah. L’Iran soutient le parti libanais, dans la mesure où tous les deux ont un ennemi commun, Israël.

Si l’Iran semble s’orienter dans la voie militaire, les sanctions seraient lourdes, et surtout craintes. Un rapport sur les conséquences qu’auraient les sanctions sur la situation économique du pays a déjà été remis au président iranien. Ces sanctions visent à marginaliser l’Iran sur la scène internationale, notamment en interdisant ses relations commerciales, surtout les exportations de son pétrole.

 

Irak: le bourbier militaire et l’impossible démocratisation

On assiste en Irak depuis le début de la guerre à un échec cuisant des Etats-Unis sur le plan stratégique, notamment la stratégie moyen-orientale du couple Bush-Cheney. Depuis quatre ans, le nombre de tués irakiens, par l’armée américaine et dans le cadre de la guerre civile enclenchée directement après la chute du régime de Saddam Hussein, s’élève à plus de 600 000. Le contrôle d’un Irak «libéré» du joug de la dictature semble quelque peu difficile: la guerre civile interne et l’absence de dialogue national compromettent les chances de stabilité, dans un pays qui ne dispose d’aucune souveraineté nationale et d’aucune organisation ou institution fiable.

La recomposition de l’Irak apparaît certes sous le signe de la démocratisation prévue depuis le début de la guerre en 2003, et de la fédéralisation annoncée peu de temps après, et en particulier depuis le mois d’octobre 2006 avec la loi sur la fédéralisation de l’Irak qui est passée au Parlement. Toutefois son amendement reste aujourd’hui incertain, même si sur le plan constitutionnel, elle devrait entrer en vigueur en avril 2008. La fédéralisation ne renforcerait pas pour autant le pays, qui apparaîtrait comme une République fédérale avec un gouvernement central affaibli, aussi bien par les déchirures internes, que par la soumission de ce dernier aux décisions américaines.

En ce qui concerne la recomposition démographique, les Chiites et les Kurdes devraient accéder davantage aux ressources pétrolières, leur permettant d’établir une forme d’autonomie politique par rapport aux Sunnites, quelque peu isolés géographiquement et ainsi privés des richesses naturelles.

Cette situation «bicéphale» en Irak entre les deux groupes confessionnels correspond à la stratégie américaine, qui consiste à diviser la population pour mieux asseoir l’autorité de l’«occupant».

L’Irak ne peut  donc plus être qualifié d’Etat nation dans la mesure où l’équilibre national n’est pas assuré, chacune des communautés confessionnelles prend en charge sa propre organisation, et ce, au moyen des milices locales, et des représentants politico confessionnels. Ce qui va sans rappeler la nature tribale de la vie politique irakienne.  Mais l’absence à long terme d’un processus national en Irak changerait complètement la donne politique, dans la mesure où l’avènement d’un nouvel homme fort ou d’une nouvelle entité forte – comme, par exemple, l’Arabie saoudite pour les Sunnites ou l’Iran pour les Chiites, ou encore un nouveau dictateur - pourrait être envisagé afin de réguler le système politique et social. On assiste donc à l’entrée en scène d’une inconnue, fruit de la crise commencée en 2003 – placée dans la thématique de la confessionalisation.

On assiste également à un rapprochement entre l’Iran et l’Irak, visible par la visite de l’ancien Premier ministre irakien Nouri Al-Maliki à Téhéran, qui renforce les liens entre les deux pays. L’Irak semble vouloir retrouver une certaine légitimité et crédibilité politique sur le plan régional, en entretenant de bonnes relations avec notamment la Turquie, l’Arabie saoudite, la Jordanie et sans oublier la Syrie. Si le «nouvel Irak», à savoir un Irak diplomatiquement plus indépendant, semble dans les esprits. Toutefois les dirigeants actuels se méfient de ces rapprochements, également critiqués par Washington. Le président Talabani réclame une présence militaire américaine permanente en Irak pour décourager les «interférences extérieures».

 

La communauté internationale: marionnettiste dans le jeu de la recomposition géopolitique

Les conséquences internationales du conflit israélo-libanais semblent se caractériser par une rupture radicale entre le monde musulman et l’Occident, qui porte un soutien massif à Israël, pour qui le droit de se défendre et d’assurer sa sécurité est légitime. Le peuple libanais semble la principale victime de la guerre, avec plus de 1000 morts civils, dont 30% sont des enfants, sans compter les déplacements de populations et les destructions matérielles – destructions de maisons et de nombreuses infrastructures qui près de six mois après la fin de la guerre n’ont pas été reconstruites. Manque de moyens? Manque de volonté? Les questions d’ordre social et économique semblent on ne peut plus liées aux questions politiques, qui restent sans réponses.

L’exacerbation des tensions suscite également la crainte de la recrudescence du terrorisme. D’où un rapprochement franco-américain qui était remis en cause par la guerre contre l’Irak en 2003. L’engagement de la France et son soutien – que l’on pourrait qualifier d’ «aveugle» -  au gouvernement actuel libanais, se justifie par les positions françaises contre les activités nucléaires iraniennes et de manière plus générale contre l’arc chiite qui s’affirme de plus en plus dans la région.

Pourrait-on envisager une quatrième guerre dans la région, engagée par les Etats-unis, et pourquoi pas par leurs alliés? Dans ce contexte de crise de confiance et de légitimité - présente à l’échelle locale et internationale – la guerre du Liban a redonné un sens au conflit de civilisation et surtout de valeurs.

 

Le Proche-Orient: une région en pleine recomposition aux mains des puissances occidentales

L’entrée des troupes anglo-américaines dans Bagdad marque t-elle la fin d’un épisode historique, la guerre d’Irak ou le début d’une nouvelle phase, la recomposition géopolitique du Proche-Orient ?

En effet depuis le 11 septembre, le Moyen-Orient connaît des crises, voire une situation de conflictualité qui constitue un enjeu fondamental pour les Etats-unis et l’Union européenne. Les Etats-Unis se présentent depuis la fin de la Guerre froide au début des années 1990 comme les «gendarmes du monde», censés assurer la liberté de circulation en Méditerranée, notamment en ce qui concerne le transport du pétrole, ainsi que la sécurité d’Israël. C’est dans ce contexte de sécurisation de la région que l’on assiste à une dérive dans les engagements américains en faveur de la stabilité régionale, engagements qui sont de plus en plus perçus comme des signes interventionnistes. L’engagement militaire en Irak depuis 2003, les menaces de sanctions contre l’Iran, le soutien accordé au gouvernement Seniora au Liban contre le Hezbollah, la rupture du dialogue avec le Hamas dans les Territoires palestiniens, nous amènent à énoncer la thèse de l’interventionnisme, voire de l’ingérence. D’ailleurs cette thèse se confirme dans la concrétisation d’un projet politique d’organisation du Moyen-Orient avec l’initiative Broader Middle East présenté au sommet du G8 de Sea Island.

En effet on peut parler d’une ingérence certaine des Etats-Unis dans les affaires internes des pays en crise et notamment le Liban, au point de parler d’une «américanisation» de ce dernier. Cette politique américaine se caractérise d’emblée par les nombreuses déclarations quotidiennes des dirigeants américains, ainsi que les nombreuses visites de ces derniers en guise de soutien au gouvernement du premier ministre Seniora. Certains n’hésitent pas à exprimer leur inquiétude face à une situation de «lynchage» de ce qui reste du Liban après la guerre, qui rappelons-le a perdu toute forme de constitutionnalité et de légitimité, de par l’amputation du conseil des ministres considéré comme l’organe collégial du pouvoir exécutif. On peut donc voir dans la poursuite du gouvernement malgré son anti-constitutionnalité un certain dysfonctionnement de la pratique souveraine du Liban: les interventions étrangères ne faisant que soutenir «ce qui ne se fait pas» chez eux, et semblent ainsi empêcher la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et par conséquent l’élaboration d’une nouvelle loi électorale, base nouvelle de la vie politique libanaise, deux solutions pour mettre fin à la crise politique.

Si après l’assassinat du Premier ministre libanais Hariri, les Etats-unis appelaient au retrait syrien, il ne s’agissait pas d’un détournement de la politique américaine (notamment en ce qui concerne la politique de Georges Bush père qui avait donné le feu vert à la Syrie pour envahir le Liban en 1990-1991), mais au contraire, c’est bien dans cette perspective américano-israélienne d’édifier un «nouveau Moyen-Orient», garantissant la sécurité de l’Etat hébreu, qui devient l’obsession des Américains depuis près de dix ans, lorsque l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies a préparé un rapport qui vise à établir une nouvelle stratégie sécuritaire pour Israël. Ce rapport intitulé «Clean Break» :
«Rupture nette qui est une nouvelle stratégie pour sécuriser le Royaume [d’Israël]» met l’accent sur le fait qu’Israël grâce à son lobby américain a influencé l’invasion américaine en Irak afin de favoriser la guerre civile, notamment entre Sunnites et Chiites, mais aussi sur le fait de contraindre les forces syriennes à quitter le Liban, afin de pouvoir l’envahir à son tour.

Ainsi, ce qui pourrait motiver les puissances occidentales à soutenir le gouvernement actuel serait la crainte de voir le Hezbollah prendre le pouvoir au Liban – crainte irraisonnée et absurde dans la mesure où le parti chiite ne le veut pas, et ne peut pas gouverner au Liban: sa légitimité n’est acquise que grâce à son charisme durant la guerre, dans le camp composé de chiites et Chrétiens. Mais encore une fois, pour une puissance stratégique, il est crédule d’envisager cette hypothèse: ce serait méconnaître la complexité politique et communautaire du Liban.

Allons plus loin, si «américanisation» du Liban il semble y avoir, le soutien au gouvernement actuel ne peut que se justifier par l’adage «diviser pour mieux régner», qui pourrait s’appliquer entre Sunnites et Chiites ne le veut pas, comme c’est d’ailleurs le cas en Irak.  Et ceci afin d’affaiblir le Hezbollah, et de faciliter ainsi l’étape du désarmement en faveur d’Israël.

La théorie de la «guerre civile» semble le seul moyen pour les Etats-unis pour asseoir leur domination.

Ainsi on pourrait se demander si une nouvelle guerre se prépare contre le Liban, afin de poursuivre l’objectif qui n’a pas été atteint durant la dernière guerre, à savoir le démantèlement de la «milice» chiite libanaise – sachant qu’il existe également d’autres milices chrétiennes légitimées par le gouvernement. D’ailleurs Israël renouvelle sa stratégie avec le remplacement des anciens Etats majors par d’autres nouveaux favorables à une nouvelle agression contre le Liban dans l’année à venir. Les nombreuses violations du territoire libanais depuis la fin de la guerre constituent également une préparation du terrain, ou sans doute une provocation, qui laisse néanmoins pêle-mêle le gouvernement. Nouvelle guerre qui permettrait ainsi de redorer l’image israélienne après l’échec cuisant de la dernière guerre contre Hezbollah.

On voit donc que le Liban est encore une fois, après 1982, tombé dans le piège des puissances occidentales, qui l’instrumentalisent dans le cadre de la «guerre froide» régionale opposant Israël et son allié américain à l’Iran. Le Liban serait donc le théâtre de l’instabilité, le terrain stratégique pour une éventuelle guerre contre l’Iran et la Syrie.

La recomposition prévue se terminerait par l’invasion de l’Iran, qui se prépare en même temps que les sanctions contre ce dernier. Selon la chaîne britannique BBC en février 2007, Washington aurait déjà sélectionné plusieurs cibles potentielles en cas de frappes contre la République islamique, notamment des sites nucléaires comme la centrale nucléaire de Natanz, ainsi que les installations d’Ispahan, mais également des bases aériennes navales, des sites de missiles ainsi que des centres de commandement et de contrôle. L’affirmation est démentie toutefois par le Pentagone. Mais cette affirmation sur la détention par l’armée américaine des plans détaillés de frappe aérienne contre l’Iran prouve encore une fois les ambitions bellicistes américaines, sans doute envisagées en cas d’échec de la diplomatie, mais surtout à cause des inquiétudes américaines concernant le dossier nucléaire iranien, et les ingérences de Téhéran en Irak, caractérisées notamment par des attaques contre les troupes américaines, rendant ainsi les relations entre les Etats-Unis et l’Iran encore plus tendues. Toujours est-il que le Conseil de sécurité des Nations unies donne à l’Iran jusqu’au 21 février pour suspendre son programme d’enrichissement d’uranium, que ce soit à des fins militaire ou civile. Téhéran tient tête, et refuse de se plier à cette injonction de l’ONU. Ce refus serait dès lors sanctionné par de nouvelles sanctions économiques contre l’Iran au cours des prochaines semaines, sanctions certes craintes par Téhéran.

La propagande semble ainsi une arme privilégiée entre les mains des Etats-Unis et leur allié dans la région qui est Israël. En considérant toute critique dirigée envers ce dernier comme un acte antisémite, en dénonçant tous les actes antisémites pour légitimer son existence, en mettant en valeur les extrémistes musulmans pour dénoncer un danger de l’Islam, et en délégitimant tous les gouvernements arabes, Israël tente de donner raison à sa politique, et légitime les moyens utilisés.

Ainsi on pourrait se demander si les Etats-Unis iront jusqu’à déclarer une guerre contre l’Iran toujours dans le but de sécuriser Israël. Guerre impensable et vouée d’avance à l’échec. Des frappes aériennes sur les installations iraniennes ne feront que retarder l’accès possible de l’Iran à l’arme nucléaire, sans pour autant l’anéantir. Il est important de noter que si recomposition régionale il y a, elle ne se fait en aucun cas en faveur de la paix et ne mettra en aucun cas fin au terrorisme et à la prolifération des armes nucléaires, mais bien au contraire elle se fait au détriment de l’unité – le principal objectif de la politique américaine et de leurs alliés dans la région est de diviser le plus possible les populations, allant sans doute vers un choc des civilisations et vers un renforcement du régime iranien autour de son président.

Guerre impensable, vue également la situation stratégique désastreuse des Etats-Unis, notamment en Irak. Comment crédibiliser aux yeux de la communauté internationale, mais surtout devant un Congrès à majorité formé de Démocrates, l’ouverture d’un nouveau front militaire en Iran?

Ainsi seule la voie diplomatique, comme le préconise l’ancien président iranien, Khatami, semble de mise, lorsqu’il s’agit d’empêcher l’Iran de se doter d’armes nucléaires et de faire en sorte que sa politique étrangère soit adaptée aux normes internationales. Mais là encore, vu le contexte de crise que traversent les Etats-Unis en Irak, les négociations iraient en faveur de l’Iran qui pourrait imposer ses conditions, comme par exemple, la poursuite du programme nucléaire civil iranien.

Les relations irano syriennes depuis la marginalisation de la Syrie avec l’assassinat de Hariri inquiètent Israël, qui voient dans les deux pays une menace certaine pour sa sécurité, voire selon les déclarations bellicistes du président iranien Ahmedinejad, pour son existence. Si vis pacem para bellum! Selon le quotidien israélien Haaretz, l’armée syrienne a déjà procédé à des mouvements de troupes en direction de la frontière avec Israël sur le plateau du Golan. Selon Zeev Schiff, spécialiste des questions de Défense israélien: «L’armée syrienne se renforce à un rythme sans précédent dans tous les domaines ces derniers temps, avec l’aide financière de l’Iran.» Et toujours selon des sources israéliennes, la Syrie se serait lancée dans une course aux armements avec l’Iran, en s’équipant de missiles Scud-D d’une portée de 400 km et de roquettes également à longue portée! Le retour à la guerre froide est certain, et surtout à la non-prolifération de l’arme nucléaire, sauf évidemment quand il s’agit des puissances impérialistes et leurs alliés, comme par exemple, le Pakistan qui dispose de l’arme nucléaire, sans que cela gêne qui que ce soit. Le déséquilibre régional au Proche-Orient est là: Israël est le seul Etat dans la région qui aurait le «droit» de s’armer et de revendiquer son statu- quo! Dans quelle mesure peut-on parler d’un nouvel ordre international si l’égalité entre les Etats n’est qu’un principe aléatoire en droit international?

Quoi qu’il en soit la recomposition géopolitique dans la région se fait au profit de l’axe Iran-Syrie-Hezbollah, qui semble encercler l’Etat hébreu. La guerre froide a bien l’air de continuer, notamment avec le soutien de la Russie aux régimes iranien et syrien. Ces derniers auraient en effet signé un contrat avec la Russie portant sur la livraison de milliers de missiles antichars, utilisés d’ailleurs par le Hezbollah contre Tsahal lors de la dernière guerre.

Quant à l’engagement de l’Union européenne, il s’inscrit dans ce même contexte stratégique de sécurisation, et de lutte contre le terrorisme. Mais l’on assiste en particulier depuis 2003 à des divergences importantes entre les positions américaines et européennes en ce qui concerne la politique étrangère, que Frédéric Charillon (iv) définit comme «l’instrument par lequel un Etat tente de façonner son environnement politique international». On voit à travers cette définition un rapport intéressant qui naît des engagements nationaux dans les relations internationales, notamment à travers le pronom possessif dans «son environnement». Les crises au Moyen-Orient semblent ainsi au cœur du processus décisionnel en matière de politique étrangère.

Les discordes transatlantiques concernent donc la politique étrangère: la politique unilatérale américaine s’oppose à la méthode multilatérale des solutions européennes, opposition radicale avec l’épisode de la guerre en Irak, où les Etats-unis se présentent comme le principal acteur, étant eux-mêmes les propres déclencheurs du conflit. Néanmoins les deux politiques européenne et américaine semblent sur une même longueur d’onde pour les cas libanais et iranien: il est en effet question de soutenir la démocratie promue au Liban depuis 2005 – la coopération franco-américaine semble inédite et nécessaire pour faire évoluer la situation politique - et pour empêcher la prolifération nucléaire en Iran, les valeurs démocratiques ainsi que la fin de la dissuasion nucléaire étant prônées sur le plan international depuis la fin de la Guerre froide et la victoire de la vision américaine des relations internationales.

Le conflit israélo-palestinien propose un schéma particulier, dans la mesure où il évolue de manière très rapide, mais également parce que le processus de paix enclenché depuis 1991 à Madrid connaît une impasse sans précédent. En effet, l’impasse réside d’emblée entre les deux peuples belligérants, mais surtout entre Palestiniens. La présence de deux autorités, que tout oppose, sur les Territoires palestiniens a un impact sur le règlement du conflit par les puissances internationales, qui soutiennent Mahmoud Abbas, et dans le même temps, refusent toute possibilité de dialogue avec Ismaïl Haniyé, dans la mesure où l’arrivée du Hamas au pouvoir compromet la volonté et le projet, propose d’ailleurs dans le cadre du Broader Middle East, de la démocratisation du monde arabe, indispensable pour l’établissement d’une paix durable au Proche-Orient. Pour les Etats-unis, le conflit israélo-palestinien constitue un enjeu majeur dans la stabilité régionale et la sécurité d’Israël. Sa résolution leur permettrait de réguler l’offre pétrolière, d’avoir des régimes amis, de promouvoir la gouvernance démocratique et la non-prolifération des armes de destruction massive, et ainsi de faire de la lutte contre le terrorisme une victoire.

C’est ainsi que l’Union européenne envisage de rétablir l’aide aux Palestiniens après l’annonce d’un gouvernement d’union en septembre 2006. Les Européens veulent croire que le nouveau gouvernement palestinien constituera un facteur clé pour contribuer à relancer le processus de paix. Jacques Chirac évoque dans ce sens l’urgence d’un dialogue pour la population palestinienne. Selon un rapport publié le 12 septembre par la CNUCED, si l’aide financière est réduite de 50%, le RNB ne dépasserait pas 1000 dollars, contre 1450 en 2005. 2 ménages sur 3 vivent en deçà du seuil de pauvreté. Le revenu national médian ne dépasse pas les 355 dollars, soit 30 dollars en dessous du seuil de la pauvreté absolue. Quant au chômage, il touche la moitié de la population palestinienne. 

Les Etats-Unis et l’Union européenne ont en effet suspendu toute aide financière au Hamas depuis mars 2006 – le Hamas étant inscrit sur la liste européenne des organisations terroristes. Depuis le mois de juillet 2006, l’Autorité palestinienne est financée indirectement grâce à des comptes contrôlés. 90 millions d’euros ont ainsi pu être distribués. Mais cette somme ne semble pas suffisante. Des conditions ont été énumérées pour le Hamas pour pouvoir disposer de cette aide. Mais elles semblent quelque peu utopiques pour un gouvernement dont l’idéologie repose sur la destruction même de l’Etat d’Israël. 

 

Le Hamas doit donc en premier lieu reconnaître le droit à l’existence d’Israël, ensuite respecter les accords précédents signés entre l’Autorité palestinienne et Israël, et enfin renoncer à la violence.

Mais pour le Hamas, reconnaître Israël relève de l’illusion. «La ligne politique du Hamas rend impossible sa participation à un gouvernement qui met la reconnaissance d’Israël dans son programme politique», a affirmé un conseiller du Premier ministre Ismaïl Haniyeh, Ahmed Youssef. En effet, l’idéologie du Mouvement de la résistance islamique prône la création d’un Etat palestinien qui remplacerait à terme l’Etat juif d’Israël.

Les élections démocratiques qui se sont déroulées comme l’a souhaité la communauté internationale ont permis l’expression de la volonté populaire, qui a voulu entraîner la rupture par rapport au Fatah, dont les engagements dans le processus de la paix et dans la cause palestinienne n’ont pas suffi à mettre fin à la belligérance depuis les années 1960. La rupture est donc annoncée avec l’élection du Hamas, mais surtout la reprise des attentats meurtriers chez les deux «camps». 

Ainsi on peut se poser la question de la représentation du peuple palestinien. Si élections il y a eu, la continuité démocratique est remise en question, dans la mesure où ce que l’on peut appeler des sanctions financières ont été décidées par les bailleurs de fonds européens et américains. Sachant que les revenus nationaux sont faibles, comment assurer la pleine réalisation démocratique, notamment en préservant les droits inhérents au peuple palestinien?

Il semble que la communauté internationale est tombée dans son propre piège: promouvoir la démocratie, tout en contestant et en boycottant l’élu semble quelque peu paradoxal. Ce paradoxe repose ainsi sur une sorte de confusion politique, qui entraîne obligatoirement un grave problème humanitaire. La question de l’aide fait partie des priorités européennes, une aide proposée, et conditionnée.

Si le retrait de Gaza s’inscrit comme un événement historique à l’initiative d’Ariel Sharon, la guerre du Liban et l’élection du Hamas constituent une rupture et remettent en cause la crédibilité de l’influence des Etats-Unis dans le règlement du conflit.

Le rapport Baker n’évoque en aucun cas la participation de l’Union européenne, ni d’ailleurs celle de l’ONU dans la région. Ce qui donne un avantage certain aux Etats-Unis, qui encore une fois profitent de leur supériorité militaire et financière. La stratégie développée et mise en œuvre au Moyen-Orient est américaine. Il semble aujourd’hui naïf de penser qu’une autre puissance – supra étatique en l’occurrence – puisse prendre le relais ou encore simplement participer à un réel projet de restructuration régionale. Le principe de la délégation des pouvoirs et des tâches semble inappropriées à l’heure où l’ONU nécessite des réformes importantes et où l’Union européenne ne peut être qualifiée d’organisation politique, et dont le pouvoir décisionnel, notamment en politique étrangère est on ne peut plus remis en cause par les clivages décisionnels en son sein.

 

La paix au Proche-Orient semble à l’heure actuelle un leurre dont il faut prendre conscience. Les peuples belligérants sont enfermés dans  leur propre «diktat» idéologique, qui ne semble pas inscrire la notion de paix et de tolérance dans son vocabulaire. La paix passée, par ce que le professeur Bertrand Badie appelle le «contrat social régional» qui associe l’ensemble des Etats de la région dans une volonté de vivre ensemble, ne semble plus de mise. La recomposition géopolitique d’après-guerre se présente toutefois comme un frein à l’établissement de ce contrat. Contrainte dans la mesure où cette recomposition est placée sous le signe de la division, de la séparation et de la méfiance, à l’échelle régionale, mais surtout à l’échelle locale, où l’on assiste à la crainte quotidienne du conflit civil, que ce soit au Liban, dans les Territoires palestiniens, ou encore en Irak. Les différentes factions politiques, que l’on ne doit absolument pas confondre avec des factions religieuses – le facteur religieux étant futile dans l’analyse de l’instabilité régionale - et leur difficulté à coexister, de par la diversité idéologique, nuit ainsi à la mise en place d’un ordre juste, pacifique, et souverain.

i Déclaration de Sayid Hassan Nasrallah du 14 juillet 2006, publiée par le ministère de l’Information libanais.

ii http://www.ism-france.org/

iii AITA Samir, “Crise financière au Liban”, Le Monde diplomatique, avril 2006, p. 25.

iv CHARILLON Frédéric (dir), “Politique étrangère Nouveaux regards”, Presses de Sciences po, Paris, 2002, p. 13.

 

ARTICLES

BAUCHARD Denis, «Irak, scénarios pour le futur», IFRI, août 2005.

CORM Georges, «Pourquoi Israël s’acharne au Liban», Le Monde diplomatique, septembre 2006, pp. 12-13.

GRESH Alain, «La voix brouillée de la France», Le Monde diplomatique, juin 2006, pp. 10-11.

MALBRUNOT Georges, «L’Iran lance un ultimatum à l’Occident», Le Figaro, 21/10/2006.

MIKAIL Barah, «Le Liban dans le chaos», Métro, 24 janvier 2007.

SHMIDT Dorothée, «L’Europe et les Etats-unis face aux crises du Moyen-Orient», compte rendu de séminaire, IFRI, 5 septembre 2005.

«Reste-t-il un espoir de paix au Proche-Orient?», compte rendu du débat avec Bertrand Badie, Le Monde, 12/12/2006.

«L’Iran et l’arc chiite: entre mythe et réalité», compte-rendu de conférence, IFRI, 16/11/2006.

Le Monde de Juillet 2006 à Février 2007-03-05

 

OUVRAGES

KASSIR Samir, SALIBY Hoda, «Liban: un printemps inachevé», Paris, Actes Sud, 2006

SALAM Nawaf, «Le Moyen-Orient à l’épreuve de l’Irak», Paris, Actes Sud, 2005.

TELLIER Frédéric, «L’heure de l’Iran», Paris, Ellipses, 2005.

إعادة التركيب الجيو-سياسية للشرق الأوسط بعد حرب تموز 2006 في لبنان 

اندلعت الحرب الإسرائيلية الثانية على لبنان في 12 تموز ,2006 وقد بدت حرباً غير مسبوقة في  بداية القرن الواحد والعشرين، في عالمٍ ينتشر فيه أكثر وأكثر مفهوم دولة القانون، مع امتداح مبادئ الديمقراطية الخاصة بحقوق الإنسان وسيادة كلّ دولة.

يعمل الموضوع على تحديد علاقات القوى الجديدة في الشرق الأوسط والتي بدأت تظهر أكثر بعد حرب إسرائيل على لبنان في تموز 2006، كذلك التحدّي الذي يطال العلاقات الدولية في المنطقة، وخصوصاً المشاكل والتوترات الجوهرية بين الدول الأساسية المتحاربة في المنطقة: إسرائيل، إيران، سوريا وبالطبع لبنان.

إن هدف هذه الدراسة سيكون إظهار مدى التعقيدات في المنطقة والتي لم تستطع مرة جديدة، رفض حرب جديدة، والتي تحاول أيضاً إعادة تركيب نفسها برعاية المجتمع الدولي، لا سيما الولايات المتحدة ''رجل الشرطة'' الفعلي في المنطقة، والإتحاد الأوروبي الذي يشجّع الحوار باعتماد الدبلوماسية تجاه بعض الدول.

يسعى هذا الموضوع إذاً لمعالجة مسألة التوزيع الإقليمي الجديد على المستوى القومي أولاً ثم على المستوى التركيبي.