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Les modèles de gouvernance des universités arabes
Introduction
Les universités arabes sont en mauvaise position dans les classements mondiaux. Dans les 500 premières places du célèbre classement de Shangai, depuis son lancement en 2003, figurent 5 seulement des 550 universités arabes, contre 7 des 9 universités israéliennes.
La première université arabe à avoir fait son apparition dans ce classement est l’Université du Caire en 2006 et 2007. Certains attribuent cela au fait que trois de ses diplômés, dont deux personnalités politiques, Anwar El Sadat et Yasser Arafat et une personnalité littéraire, Naguib Mahfouz, avaient reçu le prix Nobel. Deux ans plus tard, l’impact de ces prix ayant été dissipé, cette université a disparu du classement (Saddiqi, 2008). Le gouvernement égyptien a tenté de remédier à ce problème en accordant des récompenses financières à quiconque se ferait publier mondialement (Hammoud, 2014). Cette politique s’est avérée fructueuse. L’Université du Caire étant une grande université, comprenant le nombre le plus élevé de professeurs en Egypte (10900 professeurs entre 2009 et 2010), elle peut fournir un nombre raisonnable d’articles publiés mondialement. C’est ainsi qu’elle a pu regagner sa place (400-450) dans le classement de Shanghai à partir de 2011.
Les quatre autres universités qui figurent dans ce classement sont saoudiennes (Université du Roi Saoud, Université du Roi Fahed, Université du Roi Abdelaziz et l’Université du Roi Abdallah). Elles sont apparues l’une après l’autre à partir de 2008. En outre, les universités du Roi Abdelaziz et du Roi Saoud ont été classées entre la 151ème et la 200ème place l’année 2015. L’apparition voire le progrès de ces universités année après année est attribué aux ressources financières allouées aux chercheurs universitaires et notamment la conclusion de contrats avec des professeurs étrangers. Ces contrats stipulent qu’ils doivent mentionner leur affiliation aux universités saoudiennes afin que leurs publications soient comptées par Shanghai au crédit de ces dernières (Bhacharjee, 2011).
Néanmoins, l’impact des ressources financières est éventuellement resté modeste vu le nombre réduit d’universités qui ont pu améliorer,par ce moyen,leur productivité en termes de recherches. Mais, d’autres questions plus importantes se posent :Les fonds injectées ont-ils permis à ces universités de rejoindre des universités de haute qualité, au plan mondial ou régional ? Ces universités sont-elles considérées comme tournées vers la recherche, alors que le classement est limité aux sciences pures et appliquées et non aux sciences humaines ? L’éducation dans ces universités est-elle d’une qualité telle qu’elle inciterait les étudiants et les professeurs à entrer en compétition afin d’y adhérer ?
Se concentrer sur l’aspect financier n'est qu'une approche parmi d'autres de gouvernance de l’université. Dans cette approche, la gouvernance est concernée par la réputation mondiale beaucoup plus que par la qualité dans son sens le plus large (éducation, recherche, niveau des étudiants, niveau des diplômés, relation avec le marché, relation avec les affaires publiques, etc.).
En fait, les universités dans le monde adoptent diverses approches dans la gestion de leurs affaires. Ces approches, ou modèles, sont attribués à différents facteurs notamment aux systèmes politiques, aux cultures prédominantes, aux intérêts financiers et politiques, aux écoles de pensées et autres.
La gouvernance de l’université est un terme qui exprime la manière dont est gérée l’université. Le terme est devenu un sujet de recherches intensives dans tous les secteurs économique, politique et éducationnel. Sa proximité linguistique avec le terme « gouvernement » indique qu’il ne relève pas du domaine administratif, même si l’administration en tant que telle y est comprise. Il diffère aussi de la gestion qui prend un sens plus professionnel. L’administration et la gestion sont menées par des professionnels. La gouvernance est plutôt relative au processus de prise de décisions, la mise en œuvre de celles-ci et la distribution, formelle ou non, des rôles entre les différents acteurs.
Les organisations internationales sont d’accord sur le fait que la bonne gouvernance comprend des caractéristiques telles que: la participation, la règle de droit, la transparence, la réactivité, la justice, l’efficacité et l’efficience ainsi que la responsabilisation[1]. Sous cet angle-là, les organisations corrompues, autoritaires, à productivité moindre, à productivité de mauvaise qualité, etc. représentent un mauvais exemple de gouvernance que ce soit au niveau des gouvernements, des Etats, des entreprises, des comités ou des institutions publiques ou privées.
Précédemment, nous avons utilisé dix critères afin de traiter des questions de qualité dans 21 universités arabes. Nous avons remarqué que le critère qui explique le plus le déclin de la qualité est celui de l’environnement éducationnel (l’admission des étudiants, l’éducation, l’apprentissage, l’évaluation, etc.). Cet environnement est logiquement attribué à la (mauvaise) gouvernance, de même que d’autres aspects comme l’utilisation des ressources financières et matérielles, l'administration du corps enseignant, la gestion des recherches scientifiques, l’assurance de la qualité, etc. (ElAmine, 2014). Toutefois, la relation entre qualité et gouvernance n’a pas été directement étudiée.
I. Le profil courant de la gouvernance dans les universités arabes
Les écrits les plus connus sur la gouvernance dans les universités arabes sont en fait des plaidoyers. Les deux idées le plus souvent invoquées sont que les universités arabes manquent d'autonomie et que la liberté académique est absente.
La déclaration d’Amman sur les libertés académiques (2004)[2] stipule que dans « la plupart des pays arabes les autorités publiques, voire les services de sécurité, imposent une tutelle directe sur la vie universitaire. Ces autorités se comportent avec les membres du corps académique et administratif à tous les niveaux selon la logique de l’allégeance et du clientélisme. Elles soumettent les curricula, les programmes et les projets scientifiques à des intérêts politiques étroits dans le but de maintenir leur pouvoir et de monopoliser l’autorité». Dans son article 1, la déclaration recommande « la nécessité d’abolir la tutelle politique imposée à la communauté académique ; l’engagement des autorités publiques à respecter l’autonomie de la communauté scientifique dans ses trois composantes, à savoir les professeurs, les étudiants et les administrateurs ; lui éviter les pressions externes et les interventions politiques qui font fi de la liberté des associations académiques, ce qui constitue une condition primordiale pour le succès du processus éducationnel et pour le développement de la recherche scientifique. »
Nous pouvons supposer que la Déclaration d’Amman est une arabisation de la Déclaration Internationale de Lima concernant les libertés académiques (1998), avec une expansion et des ajouts vu les multiples plaintes sur la manière dont sont gérées les universités arabes, de l’extérieur par les ministères concernés, et de l’intérieur par les autorités universitaires, ainsi que les critiques concernant la forte symbiose entre la gouvernance externe et la gouvernance interne. Cette image est renforcée par la publication de déclarations nationales et de rapports internationaux sur les conditions locales tels ceux de l’organisation Human Rights Watch sur la répression des libertés académiques .
D'une autre part, nous avons trouvé un grand nombre d’études (28) qui traitent des différents aspects de la gouvernance. Malheureusement, ces études se limitent à mener des enquêtes par questionnaires et mesurer les écarts statistiques. Elles ne présentent aucune connaissance sur le sujet de gouvernance des universités arabes. Ces études se conforment aussi, dans leur vide cognitif, aux modèles régnantsdans les recherches sociales et éducationnelles (ElAmine, 2015). Elles reflètent, d'ailleurs, les modèles de gouvernance des universités arabes dans la mesure où la plupart de ces études sont rédigées par des professeurs universitaires.
D'autre études décrivent le profil de de la gouvernance des universités arabes comme suit :
1) La dépendance des universités, « l’hégémonie des autorités centrales sur toutes les spécialisations administratives et financières vidant ainsi de son contenu le principe de l'autonomie de l’université » (Abiaba, 2011), le pouvoir et la bureaucratie du système central géré par le Ministère de l’Enseignement Supérieur (Krieger, 2007) ;
2) La centralisation et la faible participation du corps enseignant dans la prise de décisions (Mohammad, 2013) ;
3) La rigidité des structures organisationnelles qui ont été mises en place il y a des dizaines d’années (Ikhazim, 2003, Kayyal, 2012).
4) L’absence de libertés académiques (Assaf, 2009).
Le profil en question reste toutefois vague.
D'abord, ces études et déclarations ne font pas de distinction entre les universités privées et les universités publiques. Pouvons-nous dire que les universités privées sont en général « autonomes » uniquement parce qu’elles ne sont pas affiliées à l’Etat ? Une université privée est-elle autonome si les titulaires de sa licence la gèrent directement, serrent l’étau autour du recteur, des doyens et des enseignants en fonction de leur propres intérêts et afin de satisfaire les « clients » qui payent, loin de toute considération académique ?[3]
Par ailleurs, les universités publiques ne se ressemblent pas entre elles, quant à leur gouvernance. Une université publique au Liban par exemple ne ressemble pas à une université publique en Egypte qui à son tour n’est pas identique à son homologue en Tunisie qui est elle aussi diffère d’une université en Arabie Saoudite, etc. Peut-on alors se contenter de dire que les quatre caractères susmentionnés s’appliquent à elles toutes et de la même manière ?
Ce qui est valable pour les différences entre les universités publiques est aussi valable pour les institutions privées de l’enseignement supérieur au sein même de chaque pays. En Egypte, l’Université Al-Azhar (qui est islamique) est différente par son modèle de gouvernance de l’Université Octobre 6 ou de l’Université Américaine du Caire (AUC) ou l’Université Allemande au Caire etc. Au Liban, la gouvernance est très différente entres l’Université Américaine de Beyrouth (AUB), l’Université Saint Joseph (USJ), l’Université Arabe de Beyrouth (BAU), l’Université Libanaise Internationale (ULI), etc.
Il est certain que nous ne pouvons pas dire que chaque université est unique dans son modèle de gouvernance mais nous pouvons dire qu’il existe des modèles principaux, chacun ayant ses propres caractéristiques en termes d'autonomie, de structure organisationnelle, de libertés académiques et de résultats relatifs à la qualité de l’éducation, au rapport qu’il entretient avecl'intérêtpublic ou l'espace public, le gouvernement, le marché, etc..
II. Les types de gouvernance
Dobbins et ses collègues distinguent trois types de gouvernance des universités : le type axé sur le marché, le type académique et le type centré sur l’Etat (Dobbins et al, 2011).
Le type axé sur le marché est évidemment le plus clair. Il est basé sur le fait que les universités sont plus efficaces quand elles se comportent comme des institutions économiques qui se font concurrence sur le marché régional et international ; tout en supposant que les politiques de commercialisation sont des politiques qui visent à renforcer les choix des étudiants, à libérer les marchés afin d’améliorer leurs qualités et à varier les services fournis par les universités (selon Jongbloed, 2003). Contrairement au type académique, la connaissance n’est pas un objectif en soi (Dobbins et al, p.62).
Il n’y a aucun doute que la mondialisation a disséminé la logique du marché dans l’enseignement supérieur. Toutefois, la crise économique mondiale de 2008 a contribué à serrer l’étau autour de l’enseignement supérieur et a poussé ses institutions à trouver de nouvelles alternatives de gouvernance (Middlehurst, 2013). Sur ce, le modèle le plus répandu aujourd’hui dans ce contexte peut être nommé dans la langue de gouvernance le modèle managérial. Ce modèle opère sous l’égide de l’efficacité et de la concurrence, même au niveau des recherches, pour améliorer la position de l’université dans les classements internationaux, et pour mieux répondre aux besoins du marché, ainsi que pour augmenter les ressources de l’université. Bien entendu cela va de pair avec une augmentation exponentielle des frais de scolarité universitaires et une réduction continue du soutien financier offert par le gouvernent aux universités (O’Connor, 2011).
L’enseignement supérieur britannique atteste d’une transformation vers « le leadership et la gestion » selon les termes de Shattock. Le principe ici est d’augmenter la centralité des décisions, réorganiser les facultés et fusionner lessections académiques dans les instituts et les écoles. Ces derniers seront gérés par des dirigeants recrutés de l’extérieur, ou par des groupes de non-académiciens affilies aux dirigeants académiques. Cela mène à l’augmentation du travail des vice-présidents et des vice-doyens élargissant ainsi le groupede gestion et rendant la prise de décision centrale (Shattock, 2013, 224-232). En outre, il y a eu des changements palpables au niveau du rôle du président de l’université. Ainsi, le rôle de vice-chancelier au Royaume-Uni est devenu semblable au rôle du leader d’une grande entreprise commerciale (Middlehurst, 2013), etc.
Ce modèle est une variante récente du type axé sur le marché. Il s’est répandu mondialement tant en Europe qu’aux Etats-Unis, en Australie et au Japon, où l’université a un rôle indépendant même si elle est publique. Une autre variante de de type est fondée sur l’entreprenariat. Yokoyama remarque que ce modèle se répand vite au Japon même s’il reste plus populaire en Grande-Bretagne. Parmi les particularités de ce modèle figurent les partenariats avec le secteur privé et le secteur industriel, l’investissement dans les marchés financiers et la décentralisation des facultés - bien qu’il y ait une disparité entre les pays au niveau de la centralisation- le leadership des chefs exécutifs et le transfert de la responsabilité vers le marché et la société en général. Cette orientation est la résultante de la dominance néo-libérale sur le milieu universitaire (Yokoyama, 2006, p.525, 551, 554). La principale victime de ce modèle est l’enseignement des humanités (Donoghue, 2008).
Quant au second type dans la classification Dobbins et al, d’auto-gouvernance académique, il trouve ses origines dans les universités allemandes du XIXème siècle, et portait précédemment le nom du philosophe Wilhelm von Humboldt. L’une des caractéristiques de ce type est le fait que l’université est gérée par son corps enseignant, notamment son sénat ou le conseil universitaire. La priorité est donnée aux études et à la recherche sans prendre en compte les besoins du « marché ». A savoir que l’un des principaux indices de l’auto-gouvernance est le système de sections ou chaires qui travaillent au plus haut niveau d’autonomie. Dans leurs plans de travail, les chaires s’adaptent aux besoins de la spécialisation beaucoup plus qu’aux pressions éco-sociales. La nomination se fait alors en se basant sur la collégialité et le mérite scientifique bien que les professeurs soient des fonctionnaires. En résumé, l’université est gérée, dans ce type, par les pairs ou par le principe de collégialité, et jouit d’une grande autonomie. Ainsi, les pairs mettent en œuvre des formes agréées de règles et de traditions à travers les accords et les élections (Dobbins et al, 2011, 671, O’Connor, 903).
On peut dire que c'est le prototype de l'autonomie académique de l’université. Néanmoins, l’un de ses paradoxes, qui surprend ceux qui appellent hâtivement à l’autonomie, est que l’Etat finance ce modèle afin de rendre l’université indépendante des pressions des dirigeants, du marché et des « besoins de la société». En fait, ce modèle existe encore dans sa forme la plus pure dans quelques universités seulement, accusées d’être des tours d’ivoire. Naturellement, nous ne pouvons pas nous attendre à trouver de pareils exemples dans la région arabe. En dépit de cela, ce modèle nous fournit des critères qui aident à comprendre les modèles de gouvernance en œuvre dans notre région.
De son côté, le troisième type mentionné par Dobbins et al, le type centré sur l’Etat, semble être le plus applicableaux universités arabes publiques. Il signifie que c’est l’Etat lui-même qui prend les grandes décisions dans les institutions de l’enseignement supérieur et non le marché.
Dans ce type, l’université ressemble à une agence étatique, donc gérée selon une approche bureaucratique (au lieu d’une approche académique comme dans le premier type). Sa mission principale est de répondre aux objectifs socio-économiques du gouvernement (au lieu de répondre aux nécessités de la liberté académique, de la production de la connaissance ou des demandes du marché, propres aux deux types précédents). Le contrôle et l’évaluation sont menés par le gouvernement (au lieu de l’auto-évaluation dans le type académique). On évalue ici le processus au lieu du produit. Dans ce cas, l’Etat dresse un plan pour la main-d’œuvre et le recrutement ; il détermine les orientations relatives à l’enseignement et à la recherche, par opposition au type académique où l’Etat se limite au « contrat » avec l’université où, parmi ses termes, figure le payement des salaires (Dobbins et al, 2011, p. 670-672).
En dépit de la validité de ce type pour expliquer la situation des universités publiques arabes et leur relation avec leur Etat, il ne nous offre aucune explication quant à la diversité de ces Etats. Dobbins et al s'étaient intéressés à chercher les prototypes plutôt que de chercher les différences, aussi bien en Europe qu'ailleurs. En outre, les auteurs admettent qu’aucun des types mentionnés n’existe dans sa forme pure et qu’il existe une variété de conditions et de développements qui ont accru l’enchevêtrement des types.
En Europe, le type centré sur l’Etat se voit dans le modèle napoléonien français alors que le type académique se trouve en Europe du Nord y compris en Allemagne. En Pologne, par exemple, on dit que l’enseignement public est orienté vers l’académique alors que l’enseignement privé est axé sur le marché (Dobbins et al, 2009).
Toutefois, l’Europe a connu de profondes transformations dans les systèmes universitaires. Cela est dû aux développements provoqués par la trajectoire de la Pologne, et aux défis rencontrés lors des classements internationaux à partir de l’an 2003 et en particulier avec l’apparition du classement de Shanghai. En effet, plusieurs pays européens ont travaillé à établir de nouvelles législations et systèmes qui donnent aux universités encore plus d’indépendance. Ils ont poussé alors les acteurs concernés tels que les étudiants, les universitaires, les institutions de production et différentes organisations sociales à participer à la prise de décision au sein des universités. Ils ont développé des comités nationaux (et européens) afin de garantir la qualité et afin de renforcer la responsabilisation (accountability) et d’impliquer les pairs dans le processus d’évaluation au lieu d’un contrôle bureaucratique. Ainsi, l’expérience européenne offre un exemple de l’accroissement de l’harmonisation et l’émergence d’une langue commune notamment quant aux concepts d’évaluation, de transparence, d’autonomie, d’assurance de la qualité, d’accréditation, de responsabilisation et de financement « basés sur un contrat » entre l’Etat et l’université. Même au niveau du financement, il existe aujourd’hui un changement notable en se basant sur la performance au lieu des « inputs » ou du processus (Magalhaes et al, 2013).
De même, le financement n’offre plus une explication suffisante de l’autonomie universitaire vis-à-vis du donateur. Selon Chiang (Chiang, 2004) les universités à Taiwan ont été incapables de produire que quelques changements au niveau de leur autonomie après la diversification de leurs ressources (P. 208-209). En contrepartie, nous remarquons que les universités britanniques, canadiennes, françaises et allemandes, qui ont reçu ou recevaient tout leur financement de l’Etat, jouissent cependant d’une grande autonomie. Ces Etats, en particulier la France, ont substitué à la responsabilité directe du gouvernement la responsabilité de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Par définition, la responsabilité devient ainsi publique vu que les résultats des évaluations de l'AERES sont mis à disposition de l’opinion publique.
En réalité, les transformations qu’a connues durant les deux dernières décennies la gouvernance des universités dans les pays avancés sont telles qu’il est difficile de distinguer des types purs qui différencieraient ces pays. Il est plus vrai de dire que la gouvernance des universités a été sujette à un mélange ou à une situation « hybride » (Deem et al, 2008) qui mêle différents types, et que différents modèles émergent au sein des divers types et à leur intersection .
III. Les modèles de gouvernance dans les universités publiques arabes
Nous avons entrepris une recherche sur un nombre limité de systèmes de gestion des universités arabes à la lumière de la présentation faite sur les types et les modèles internationaux. Pour ce faire, nous avons analysé les législations quant au choix des dirigeants, la formation des conseils, et le statut des départements académiques.
1. Le modèle électoral (Tunisie)
La nomination des dirigeants
La loi numéro 19 de 2008 stipuleque la nomination du président de l’université, des vice-présidents et du conseil universitaire se fait par décret présidentiel. Les doyens par contre sont élus par les professeurs embauchés à plein-temps. Si leur élection est impossible, on a recours à la nomination.
Après la révolution du jasmin (2011), un décret généralise l'élection à tous les niveaux (Tunisie, 2011) :le président de l’université doit être élu par les membres du conseil universitaire, le doyen doit être élu par le conseil scientifique, le chef de département est élu par ses collègues du même département ou par le conseil départemental.
Dans ce décret de quatre pages, nous avons trouvé le terme « élu» répété 28 fois et le terme « conseil » 41 fois alors que le terme le ministre chargé de l’Enseignement Supérieur est apparu 12 fois, et dans la majorité des cas afin de préciser que le ministre doit compléter les procédures formelles relatives aux élections.
Les conseils
Le conseil des universités est présidé par le ministre chargé de l’Enseignement Supérieur. Il est composé des présidents des universités et des directeurs généraux de l’administration centrale. Le rôle de ce conseil est de coordonner entre les universités, notamment en ce qui concerne les diplômes, les programmes de recherche scientifique et la contribution au renouvellement technologique. Cela signifie que l’université publique tunisienne n’est pas soumise à l’autorité de ce conseil.
Quant au conseil universitaire, il possède des fonctions académiques telles que : « la détermination des programmes de l’université, des domaines scientifiques, de la pédagogie (…) » et « l’organisation de la vie universitaire en établissant les meilleurs moyens afin d’augmenter les performances scientifiques et pédagogiques des institutions affiliées à l’université » (Tunisie, 2008). Selon la loi, le conseil universitaire ne cherche pas à dresser le plan financier de l’université, son budget annuel ou la désignation des enseignants ou des employés. En fait ce genre de décisions est pris ailleurs (au ministère de l’Enseignement Supérieur, au ministère des Finances). L'université publique tunisienne a, conformément à la loi, une « nature administrative». Cela signifie que tout genre de dépenses y compris les achats pour les besoins de l’université, la couverture des frais de voyage des enseignants pour des raisons scientifiques, etc. ont besoin de l’approbation préalable d’instances extérieures à l’université (les ministères concernés). La même loi (chapitre 10) stipule la possibilité de changer la « nature » de l’université du statut "administrative" au statut "scientifique technologique", pour jouir de plus de flexibilité et de pouvoir de prise de décisions. Néanmoins, ce changement de statut n’a été appliqué, jusqu’en 2015, à aucune université publique.
Le Département
Les rôles du département et de son chef sont faibles à l'université tunisienne comparativement à ceux du doyen et du conseil scientifique (conseil de la faculté). Le département suggère des programmes de formation qu’il s’engage à mettre en œuvre tout en travaillant sur l’harmonisation et l’amélioration de la pédagogie (Tunisie, 2008, chapitre 47). Cela n’a pas été changé par les amendements de l’an 2011. En un sens, l’enseignement supérieur en Tunisie n’a pas encore connu de réformes substantielles après la révolte en dehors du choix des dirigeants.
Il n’y a aucun doute que le système électoral au sein de l’université publique tunisienne est lié à la force des syndicats en Tunisie y compris dans les universités, donnant ainsi probablement une marge considérable aux libertés académiques. Mais, la soumission administrative et financière de l’université au gouvernement restreint à nouveau son autonomie. En outre, la force des élections et des syndicats affaiblit l’autorité académique. L'université tunisienne ne peut être classée dans le modèle académique. D’autre part, les facultés sont relativement indépendantes de l’administration de l’université et certaines facultés (comme la faculté d’ingénierie, de gestion ou autres) sont en relation directe avec le marché ou répondent à des critères qui servent le marché européen. Tout cela rend plus difficile la classification de l’université publique tunisienne dans le type académique ou dans celui axé sur le marché.
2. Le modèle bureaucratique (Egypte)
Le choix des dirigeants
Conformément à la loi qui avait cours à la veille de la révolution de 2011, les dirigeants universitaires sont nommés selon un enchainement hiérarchique, du Président de la République au recteur de l’université jusqu’aux doyens. Après la révolution, le changement le plus important fut la promulgation de la loi numéro 84 (Egypte : 2012). Cette dernière a augmenté « les allocations universitaires » des enseignants, amendé les conditions de retraite et a ajouté un nouvel article (article 13 bis) stipulantque le choix des dirigeants se ferait par élection. Cette loi a été mise en œuvre durant l’été 2012.
Le 24 juin 2014, vingt jours après son accession à la présidence de la république, Al-Sissi a promulgué une loi en vertu de laquelle l’article 13 bis est annulé, remettant en vigueur le système de nominationpar le haut. En outre, les résultats des élections qui ont avaient eu lieu dans quelques universités durant cette période ont été annulés en vertu de cette loi, et bon nombre de présidents d’université précédemment élus ont été mis à la retraite.
Selon la loi appliquée aujourd’hui, la situation générale est la suivante : le Président de la République nomme le recteur de l’université, les doyens, le secrétaire général du Conseil Suprême des Universités, et les quatre membres non doyens du conseil universitaire ainsi que le secrétaire de l’université. Quant au recteur, il/elle est responsable de nommer le vice-doyen, le chef de département et trois membres qui ne sont pas des chefs de département au conseil de la faculté. La règle de l’ancienneté est appliquée dans la nomination des chefs de départements et la nomination de leurs collègues au conseil de la faculté (les plus anciens de chaque département). L’ajout d’un comité spécialisé chargé de proposer au ministre la candidature trois personnes pour le poste de recteur et trois pour le poste de doyen est juste une formalité vu que la prise de décision revient au Président, le chef de l’autorité politique. Dans le modèle égyptien existant aujourd’hui, le terme « élection » est complètement absent.
Les conseils
Le Conseil Suprême des Universités est constitué de son président, le ministre de l’Enseignement Supérieur et des présidents des universités. Ce conseil est chargé de bons nombres de missions, il aide le ministre à la coordonner les rôles entre les universités et à harmoniser leurs activités (Egypte, 1972).
Le conseil universitaire est établi aussi conformément à l’article 22 de la loi 1972 en vigueur aujourd’hui, il comprend le président, ses vice-présidents, les doyens et quatre experts qui sont tous nommés. Dans cette loi, nous ne trouvons pas les termes comme « consulter », « les candidatures présentées par » les professeurs, les comités estudiantins ou par un comité ou partie non nommé de haut.
Le département
La loi ne souligne pas de missions spécifiques le chair du département sauf le fait qu’il « supervise les affaires scientifiques, administratives ou financières du département selon les limites de la politique dépeinte par le conseil de la faculté ou le conseil départemental » (article 58). Quant au conseil du département, il présente des suggestions telles que la définition des cours universitaires et de leurs contenus (article 55).
Le modèle de gouvernance dans les universités publiques égyptiennes est hiérarchique par excellence. Ceux de rang inférieur sont soumis l’autorité de ceux qui sont d’un rang supérieur (l’ancienneté étant aussi pris en compte au niveau de département). Il n’y a aucun doute que le plus fort maillon dans la chaine est le président de l’université de par sa relation directe auPrésident de la République. Ce modèle est très loin du modèle académique, il n’est ni axé sur le marché ni électoral. L’université égyptienne est une agence qui répond aux exigences de l’Etat telles que conçues par le gouvernement sous la conduite du Président de la République. C’est une organisation similaire aux organismes de l’Etat où la hiérarchie bureaucratique caractérise sa gouvernance.
3. Le modèle politisé (Liban)
Le choix des dirigeants
L’université libanaise (UL) est la seule université publique au Liban et comprend 37% des étudiants dans le pays. Son recteur est nommé par le Conseil des ministres parmi cinq candidats désignés par le conseil universitaire et est suggéré par le ministre de tutelle, le ministre de l’Enseignement supérieur. Les doyens sont nommés selon la même procédure (Liban, 2009). Quant au chef de département il est élu par ses collègues du département.
Néanmoins, la structure de l’UL comprend un quatrième échelon hiérarchique qui n’existe pas dans d’autres universités arabes à savoir celui de directeur de branche. Ce poste a été établi au lendemain du déclenchement de la guerre civile (1975-1990). Laguerre a causé la création de plusieurs branches pour chaque faculté, reparties dans les différentes régions et dans les deux secteurs de Beyrouth vu les dangers pour les professeurs, les étudiants et les employés de se déplacer entre les régions. Or, une fois la guerre finie, les branches ont été maintenues. La loi 66/2009 a légiféré cette structure unique à quatre niveaux. Il existe aujourd’hui 47 directeurs de branches.
D'autre part, toutes les nominations se font conformément à la distribution confessionnelle : les doyens et les postes de directeurs sont répartis équitablement entre musulmans et chrétiens. Au sein de chaque groupe, les postes sont ensuite distribués selon les confessions dans des proportions fixées pour toutes les administrations gouvernementales. Cet arrangement est supposé assurer un certain équilibre et de préserver les droits de toutes les confessions libanaises et d’éviter toute prédominance dans les fonctions publiques d’une communauté ou au contraire sa marginalisation. Il s'applique aussi à la distribution des postes politiques (députés, ministres, Président de la République, premier ministre et chef du Parlement) et des hautes fonctions dans l’administration publique de l’Etat, y compris le poste de recteur de l'UL.
Toutefois, la guerre civile a aussi mis au pouvoir des chefs politiques qui monopolisent la représentation des confessions et les décisions relatives à la nomination des fonctionnaires d'Etat. Le recteur, les doyens et les directeurs de l'UL sont choisis de manière à préserver leur allégeance politique en échange de leur protection. Dans ce sens l'ouverture des branches et la nomination des directeurs ont consacré la politisation de la gouvernance de l'UL depuis 1977. En 1997, la politisation a atteint la nomination des professeurs, lorsque le Conseil des ministres a décidé de transférer les prérogatives du conseil universitaire relatives à la nomination des professeurs au Conseil des ministres (Liban, 1997). Ainsi, il est devenu impossible à un professeur débutant de connaitre les procédures, les conditions, et les échéances relatives à son recrutement, cette décision étant soumise à la volonté des politiciens.
Les Conseils
Le Conseil des ministres est l’instance la plus haute dans la gouvernance de l’UL. Le facteur politique influe non seulement sur les plus hautes instances de l’université mais aussi au niveau de la base, vu que les chefs politiques au pouvoir ont des partisans occupant tous les conseils au sein de l’université. Le conseil universitaire comprend des doyens politiquement désignés et des représentants des enseignants qui sont politiquement élus. Le conseil de la faculté regroupe les directeurs des branches et des représentants des enseignants qui sont politiquement élus au niveau de la faculté.
La représentation politique des autorités se trouve aussi au niveau de la ligue des professeurs (similaire à un syndicat). Pourtant, cette ligue parvient à joindre à la fois la représentation des politiciens, la défense des droits des enseignants et la protection des libertés académiques. Les développements historiques qui ont présidé à la formation de cette ligue et à la définition de son rôle lui ont permis de relever ce défi mais sortent du cadre de cette étude.
Le chef de département
Les chefs de départements se réunissent en conseil de la branche, présidé par le directeur, mais ils n’ont aucun rôle au niveau du conseil de la faculté. Le département débat des affaires internes, comme la répartition des cours et ne possède pas de budget ou de secrétariat propre à lui. Comme il est au bas de l’échelle, le département est fortement marginalisé.
En somme, la gouvernance de l'UL peut ressembler à la gouvernance de l’université tunisienne en ce qui concerne les élections (au niveau du département) et le syndicat. Mais, elle est complètement différente quant à la désignation des autres dirigeants et de son financement. Il est vrai que le financement gouvernemental est décidé par le ministère des Finances, mais du moment que les allocations sont décidées, l'université contrôle les dépenses selon un système financier préétabli. Cela fait que le président de l’université possède de grandes prérogatives en dépit du morcellement de l’université en branches.
Tous ces indicateurs montrent que l'UL est loin de faire partie de la catégorie académique ou de celle orientée vers le marché. L'exemple qu'elle donne n'est qu'une variante spécifique du type centré sur l'Etat, mais moins étatique, quand on le compare aux autres exemples. Dans ce modèle l'université est politisée à tous les niveaux.
4. Le modèle contrôlé (Jordanie)
Le choix des dirigeants
Le président de l’université publique jordanienne est nommé par « volonté royale suprême basée sur la proposition du Conseil de l’Enseignement supérieur ». Toutefois les vice-présidents, les doyens et le chargé d’affaires du doyen sont désignés par le conseil d’administration en se basant sur la proposition du président. Le président est alors chargé de désigner le vice-doyen et le chef de département (selon la proposition du doyen). L’université jordanienne semble à première vue avoir une gouvernance « présidentielle » où le président nommé par le roi décide des autres nominations (Jordanie, 2009). Dans les lois de l’enseignement supérieur et des universités, les termes « élection » ou « candidature » à n’importe quel poste de dirigeants n’apparaissent pas.
Les Conseils
Il existe deux conseils au-dessus du président de l’université : le Conseil de l’Enseignement supérieur et le Conseil Exécutif. Le Conseil de l’Enseignement supérieur a le droit de regard non seulement sur les affaires des universités publiques mais aussi sur celle celles des universités privées. Parmi ses fonctions principales, celles de proposer les noms des présidents des universités publiques, d'approuver la nomination des présidents des universités privées et de ratifier les budgets de toutes les institutions d’enseignement supérieur. Il est à noter que ce conseil présidé par le ministre comprend le président de la commission d’accréditation de l’enseignement supérieur et «le directeur de l’éducation, l’enseignement et la culture miliaire dans les forces armées jordaniennes» entre autres. Il y a un militaire au conseil alors que le président de la commission nationale d’accréditation possède les registres et les informations de toutes les universités. Le Conseil de l’Enseignement supérieur semble être un comité de supervision et de contrôle, il observe toutes les institutions de l’enseignement supérieur, prend des décisions qui lui incombent et est impliqué dans les affaires du fonds de recherche scientifique puisqu’il nomme quelques-uns de ses membres.
Chaque université est supervisée de plus par un « comité d’administrateurs (Board of Trustees) » (BOT) dont les membres sont nommés selon « la volonté royale suprême » suite à une proposition faite par le premier ministre. Le BOT a des tâches telles que l’élaboration des politiques générales de l’université, la ratification de ses plans annuels, l’évaluation de sa performance, la désignation des vice-présidents, et des doyens ainsi que la ratification de son budget annuel, etc. (Jordanie, 2009).
Quant au conseil universitaire il comprend des membres élus (un représentant de chaque faculté) mais la plupart sont nommés. Ce groupe comprend les doyens, les vice-présidents, trois des directeurs d’unités et deux de la communauté locale, « un représentant des étudiants de l’université » et « un diplômé de l’université ». Les quatre dernières catégories sont nommées par le président. Le conseil universitaire a sept tâches qui commencent par des verbes tels que « travailler à », « étudier », « proposer », « considérer » et deux tâches qui commencent par « approuver »…de ce qui doit être soumis au BOT.
Alors que le conseil suprême des universités prend les décisions politiques ou de contrôle, que le BOT est celui qui prend les décisions de type administratif, le conseil des doyens est celui qui prend les décisions académiques. Dans cette structure, il reste peu à faire que ce soit pour les conseils des facultés ou des départements.
Le Département
Dans le cas jordanien également, le département représente le maillon faible de la structure académique. Son chef est nommé par le président de l’université et ses missions comprennent les affaires éducatives.
L’autorité politique en Jordanie a des prérogatives qui lui permettent de contrôler tout ce qui concerne l’enseignement supérieur, sans être pyramidale comme dans le modèle égyptien. L’université publique jordanienne est très loin du modèle électoral, du modèle académique et du modèle axé sur le marché.
En revenant à la classification de Dobbins et al, il est évident que les universités publiques arabes appartiennent au type centré sur l’Etat. Mais cela ne signifie pas grand-chose. D’une part les universités arabes ne ressemblent pas aux universités européennes, d’autre part elles ne se ressemblent pas entre elles. Il est clair que les différences sont attribuables aux systèmes politiques dans les deux régions et dans les différents pays. C’est pourquoi notre essai est allé à la recherche des variantes (modèles) arabes de ce type.
Nous avons pu identifier quatre modèles. Pouvons-nous les généraliser aux autres pays arabes ? On peut supposer que le modèle politisé s’applique aussi au Yémen, le modèle hiérarchique s’applique en Syrie et en Iraq, le modèle de contrôle est valable pour les pays du golfe arabe et du Maghreb alors que le modèle électoral s’applique en Algérie. Mais tout cela requiert une vérification.
IV. Les modèles de gouvernance dans les universités non publiques
Nous ne pourrons pas utiliser la même méthode d’analyse des lois, afin d’extraire les modèles de gouvernance des universités non publiques. Il est vrai que dans chaque pays il existe une loi qui règlemente les affaires de ces universités mais à chaque université son système. Par conséquent, nous avons autant de systèmes que d’universités non publiques. Celles-ci dépassent aujourd’hui les 250. Sur ce, nous allons simplifier le sujet et extraire les modèles en nous basant sur les formes de propriété qui régissent les différentes universités.
1. Le modèle commercial
L’expression « université privée » est utilisée dans les pays arabes afin de décrire une université à propriété privée. Quand le propriétaire est une entreprise, celle-ci peut être à responsabilité limitée ou une société anonyme donc ayant des actions sur le marché. Cette dernière catégorie existe en Jordanie (comme l’Université de la Philadelphie détenue par le groupe Philadelphia International Educational Investments Co.)
Ahmad (2014, P. 120) décrit la gestion d’un institut universitaire en Egypte de ce type, en disant : « La plus haute autorité de la structure est le conseil d’administration suivi par le doyen de l’institut. En outre, le propriétaire préside le conseil d’administration de l’institut... En réalité la tâche la plus importante de l’organisme propriétaire est d’établir cet institut, d’en être le propriétaire, sans attacher beaucoup d’importance au reste des activités. »
Le propriétaire étant le président du conseil d’administration, le président de l’université est soumis à sa volonté. La préoccupation principale est d’augmenter les revenus en assurant la satisfaction des étudiants et de leurs parents, tout en augmentant leur nombre, et de réduire les dépenses en diminuant le nombre de fonctions administratives, en augmentant les contractuels par heure et en négligeant les aspects de qualité de l’éducation et la recherche.
Ce modèle est considéré comme le plus répandu dans les pays arabes. Il est logiquement classifiable comme type orienté vers le marché selon la typologie de Dobbins et al. Mais il est beaucoup plus que cela. Il représente une forme d’investissement de la part du propriétaire. C’est un modèle commercial. Les pays arabes ont libéralisé l’enseignement privé sous les encouragements des organisations internationales et notamment la Banque Mondiale[4] vu que ces Etats sont incapables de répondre à une demande sociale accrue d’enseignement supérieur par le seul enseignement public. Ils ont alors encouragé ce modèle sous le prétexte qu’une entreprise est plus efficace qu’une association communautaire, risquant la « libanisation ».
2. Le modèle communautaire
Il s’agit de l’université nommée ahlia dans les pays arabes, établie par un organisme communautaire, généralement religieux et/ou ayant une clientèle communautaire. Au Liban, l'université en question est nommée privée. Il y a bon nombres d’exemples, tel que l’Université Saint Joseph (USJ), l’Université Saint Esprit de Kaslik (USEK), l’Université Islamique du Liban (UIL) et d’autres. Les pères jésuites ont établi l’USJ, en 1875, l’ordre maronite a fondé l’USEK et le Conseil chiite suprême a établi l’UIL. Ces affiliations ont d’importantes implications quant à la gouvernance de l’université.
Le fondateur ou propriétaire de l’université désigne le recteur. A l’USJ le conseil universitaire propose trois candidats parmi les pères jésuites. La Compagnie de Jesus choisit alors l’un d’eux. Comme le décrit M. Nasr (2011) : "Au haut de l’échelle se situe le recteur de l’université, clef de voûte du système, il réunit tous les pouvoirs et prépare les décisions exécutées par les services généraux de l'administration centrale. Il est secondé par son conseil de vice-recteurs, par les directeurs des services de l’administration centrale et par le Conseil Restreint de l’université (dont 4 membres sont élus par le Conseil de l’Université). Cet ensemble de corps forme le Rectorat, autorité supérieure de l’université, qui centralise tous les pouvoirs et prend les décisions les plus importantes, promulguées par le recteur."
Des élections peuvent avoir lieu mais la règle d’or est la nomination et la loyauté au recteur et à la partie qui l’a nommé. Le recteur est le « père » dont le halo s’étend à toute l’université. Les recherches, le salaire des professeurs, les promotions, les normes de qualité et le financement… sont tous approuvés un à un par le président.
D’une manière ou d’une autre, nous pouvons dire que l’institution communautaire ressemble à l’institution commerciale : un grand nombre de contractuels et un petit nombre de professeurs à plein-temps (20% uniquement à l’USJ par exemple), la soumission des rangs inférieurs aux rangs supérieurs, etc. Il existe cependant deux différences. La première est que, dans le modèle commercial, le recteur exerce une autorité formelle, ila le pouvoir de signer. Dans le modèle communautaire le recteur exerce aussi le pouvoir et l'influence. Il a des adeptes et des fidèles au sein de l’université, par conviction et par foi, il incarne le message de l’université et la partie qu’il représente. La deuxième différence est que le propriétaire dans le modèle commercial investit financièrement dans l’enseignement supérieur et adopte les options du marché et ses valeurs. Alors que le propriétaire dans le modèle communautaire a une mission (sociale, religieuse et même politique). C'est ainsi que s'élargit ici la portée des dépenses, des activités, des recherches, des participations aux évènements intellectuels ou sociaux et de l’enseignement des sciences sociales et humaines.
Outre le Liban, nous pouvons retrouver le modèle communautaire en Palestine et au Royaume d’Arabie Saoudite où des universités ont été établies par des organismes orientées vers la religion islamique ou qui dépendent d’un des Emirs ou d’une personne au pouvoir. Dans certains cas, les buts lucratifs se mélangent aux buts sociaux. Cela reste hypothétique et mérite d'être vérifié.
3. Le modèle autonome
Les universités autonomes sont les universités qui n'appartiennent à aucune organisation sociale, elles sont à but non lucratif et sont aussi indépendantes du gouvernement. Elles le sont aussi parce qu’elles sont formées de composantes étrangères et locales à la fois. L'autonomie vient d’un rapport équilibré entre tous ces facteurs.
Les universités autonomes ne sont pas des institutions étrangères. Il existe maintes institutions universitaires étrangères. Les unes sont dites « transnationales » comme aux Emirats arabes unis et au Qatar. Les autres portent le nom de l’Etat qui les soutient par exemple l’université allemande, l’université française, l’université russe, l’université italienne (en Egypte et en Jordanie). Naturellement, ces universités ont une gouvernance variée conformément à leur pays d’origine.
Dans le modèle autonome, il existe un « comité d’administrateurs (Board of Trustees-BOT) composé de personnalités publiques et académiques ainsi que d’hommes d’affaires de différentes nationalités (américaine, arabe et libanaise). Il constitue l’autorité suprême. Il est responsable de la désignation du président, de la ratification du budget annuel, des plans et des systèmes (rules and regulations). Les doyens et les chefs de départements sont désignés après la soumission des candidatures, les consultations et les entretiens. Mais le département constitue le noyau dur dans ce système au contraire de tous les autres modèles publics ou non publics. Les élections ne sont pas très courantes dans ce modèle mais il y a des assemblées générales (des enseignants), et des élections estudiantines. Une seule université (AUB) comprend une union d'enseignants (Faculty United)
Les universités de ce type se nourrissent des traditions américaines dans la gouvernance de l’université, l'organisation des programmes, l'orientation libérale, l’autorité de la loi, la documentation, l’institutionnalisation, etc.
Ce modèle s’applique uniquement à quatre universités dans les pays arabes, à savoir : l’Université américaine de Beyrouth (AUB), l’Université Libanaise Américaine de Beyrouth (LAU), l’Université Américaine au Caire (AUC) et l’Université Al-Akhawayn au Maroc. Ces universités sont des universités d’élite mais leur position est très marginale dans des pays comme le Maroc et l’Egypte. Il existe d’autres universités dites américaines au Liban, au Kuwait, aux Emirats et en Jordanie dont quatre universités aux Emirats seulement mais ces universités sont en général à but lucratif. L'appellation "américaine" est utilisée pour des raisons spécifiquement commerciales.
Conclusion
En comparaison avec les modèles internationaux de gouvernance des universités, les universités publiques arabes sont très loin du type académique qui avait été historiquement établi en Europe. Elles sont aussi éloignées du type axé sur le marché (néolibéral) répandu aux Etats-Unis ou dans les universités privées un peu partout dans le monde. On peut plutôt les classer dans le type centré sur l’Etat mais avec des divergences.
Nous pouvons dire que leurs principaux points de divergence avec le type européen centré sur l’Etat est leur soumission au gouvernement et l’implication des instances politiques de haut en bas de l’échelle, ou dans les deux sens. Les divergences interarabes renvoient aux structures sociales, au rapport avec l'Etat, et au mouvement syndical, etc. Chaque modèle est un tout élaboré. Il reste à vérifier leur applicabilité aux autres pays arabes.
Quant aux universités non publiques, elles sont polarisées soit en direction du marché, soit par un organisme communautaire, ou les deux à la fois. Le produit de cette bipolarité entre la politique et le marché est la perte d’autonomie, la faiblesse des libertés académiques et la détérioration de la qualité.
C’est ainsi qu’on peut comprendre pourquoi les universités arabes sont marginalisées dans les classements internationaux.
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[4]- En liant les crédits à la privatisation dans l’éducation et d’autres domaines (Belfield & Levin, 2002)
أمثلة عن الأنظمة الإدارية للجامعات العربية
تحتلّ الجامعات العربية مراكزًا متدنّية في الترتيب العالمي. ففي المراكز الـ500 الأولى بحسب ترتيب شنغهاي الشهير منذ إطلاقه العام 2003، تبرز 5 جامعات من أصل 550 جامعة عربيّة، مقابل 7 من أصل 9 جامعات إسرائيليّة.
وكان البروز الأول لجامعة عربية من نصيب جامعة القاهرة في العامين 2006 و 2007. البعض يرجّح هذا الأمر إلى أنّ ثلاثة من متخرّجي هذه الجامعة ومن بينهم شخصيتان سياسيتان هما أنور السّادات وياسر عرفات، بالإضافة إلى شخصيّة أدبية هي نجيب محفوظ كانوا قد نالوا جائزة نوبل.
وقد حاول المجتمع المصري معالجة هذه المشكلة من خلال تقديم مكافآت ماديّة لكلّ من يتمكّن من نشر أعماله عالميًّا (حمّود العام 2004). غير أنّ وقع المصادر المالية بقي في نهاية المطاف خجولًا نظرًا إلى العدد المتدني للجامعات التي تمكنت من تحسين إنتاجها ضمن إطار الأبحاث، باللجوء إلى هذه السّياسة. و التركيز على الجانب المادي يمثّل مقاربة من أصل العديد منها في إطار النظام الإداري للجامعات. في هذه المقاربة، يُعنى النظام الإداري بالسمعة العالمية أكثر منه بالنوعية بمعناها الواسع. في الواقع، إنّ الجامعات في العالم تتبنّى مقاربات مختلفة في إدارة شؤونها. هذه المقاربات تتصل بعوامل مختلفة منها الأنظمة السياسية، الثقافات السائدة، المصالح المالية والسياسية، المدارس الفكرية وغيرها.
وقد تمّ اللجوء في السابق إلى عشرة معايير عند معالجة مسائل النوعية في 21 جامعة عربية. و قد لاحظنا أنّ المعيار الأكثر تعبيرًا عن انحدار النوعية هو معيار البيئة التعليمية ( قبول الطلاب، التعليم، التعلّم، التقييم إلخ...). وتتصل هذه البيئة بطبيعة الحال بسوء النظام الإداري، بالإضافة إلى نواحٍ أخرى مثل استخدام المصادر المالية والمادية، إدارة الجسم التعليمي، إدارة الأبحاث العلمية، تأمين النوعية إلخ... غير أنّ العلاقة بين النوعية والنظام الإداري لم تُدرس مباشرةً.